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un boudoir somptueusement tendu au milieu duquel pose, sur une estrade de velours, un lit de repos de style Louis XV sculpté en bois doré, recouvert d’une courtine de satin rose où sont jetés deux coussins de satin blanc brodé de fleurs. Au-dessus du lit s’étend une double tente, la première de peluche bleu-de-roi, la seconde de soie brochée gris-perle. Ajoutez sur le tapis à fleurs une peau de tigre bordée de crépines d’or, et dans les angles de la pièce des chaises à vifs ramages et une console Louis XVI, de bronze doré, supportant une assez ridicule statue de l’Amour, et vous aurez l’idée de cet ameublement qu’envierait peut-être quelque Phryné à la mode, mais qui nous rappelle le mot du peintre Apelles à un de ses élèves : « Incapable de peindre ton Hélène belle, tu l’as faite riche, μὴ δυνάμενος γράψαι καλῆν, πλούσιαν πεποίηκας. » Terminons cette revue par les tables et les chiffonniers laqués, les jardinières et les guéridons d’ivoire cloisonné, les meubles de bois noir à reflets fauves, imitant par la couleur et la sculpture les bronzes japonais, et les cabinets de laque verte ou rouge décorés de rinceaux XVIIIe siècle et de figures de magots.

Il faut d’ailleurs constater que l’ébénisterie française a un peu renoncé aux marqueteries de couleur, aux incrustations d’écailles et de cuivre genre Boule, aux ramages d’ivoire et de nacre, toutes choses que l’abus a rendues surannées. Le goût s’épure et va maintenant aux meubles plus simples, d’un seul bois, chêne, noyer, ébène ou bois doré, tout au plus orné, quand le style l’exige, de quelques rechampis d’or ou de quelques garnitures de bronze doré. On n’hésite pas à sacrifier au beau la richesse et l’effet. On ne cherche à relever l’humble matière qu’on emploie que par le style pur de l’ordonnance, la beauté des sculptures et l’excellence de, l’exécution. C’est ainsi qu’on parvient à faire de véritables chefs-d’œuvre d’ébénisterie, comme cette petite bibliothèque de noyer, de pur style Louis XV, à vantaux cintrés demi-pleins, que décorent de fines sculptures, disposées avec autant de grâce que de sobriété et légèrement rehaussées d’or. Ce meuble, qui peut-être n’attire pas les regards de la foule, est une des merveilles de l’exposition.

Les critiques sont la garantie de la sincérité de l’éloge ; aussi ne doit-on pas les ménager. Le tort des grands ébénistes français est d’exposer uniquement des meubles de haut luxe et de prix excessif, laissant ainsi à la fabrication courante, qui ne fait guère que la pacotille, le soin de meubler la plupart des appartemens et des hôtels. Il semble qu’en adoptant la plus stricte sobriété d’ornementation et en employant des essences communes, telles que le chêne et le noyer, on pourrait mettre à la portée des fortunes modestes des meubles qui, sans être luxueux, seraient cependant d’un goût