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et un rang dans la hiérarchie officielle. Dans ce pays du tchine, on a cru par là relever les magistratures municipales et attirer vers elles plus d’hommes capables en flattant leur vanité ou leur amour de la représentation. En France, où en outre de leur écharpe tricolore nous donnons aux maires des villes une épée avec un habit brodé, nous ne saurions nous étonner de les voir en Russie porter un uniforme. L’inconvénient de toutes les distinctions de ce genre, c’est d’assimiler extérieurement les représentans des municipalités aux fonctionnaires du gouvernement, et ainsi d’en dénaturer le caractère aux yeux du public. L’uniforme, qui en Russie plus qu’ailleurs semble avoir quelque chose de la livrée, ne paraît en tout cas convenir qu’à des maires nommés par le gouvernement ; des maires élus ne devraient avoir que de simples insignes, tels que notre écharpe[1].

Si en Russie, comme ailleurs, il se rencontre des maires heureux d’endosser un habit brodé, quelques-uns se montrent peu flattés d’une distinction qui semble les absorber dans les rangs du tchinovnisme. Le port de l’uniforme fut, il y a quelques années, l’occasion d’un différend qui fit beaucoup de bruit en Russie. Moscou avait un nouveau gouverneur, que venaient saluer les nombreux fonctionnaires de l’ancienne capitale ; le maire de la ville crut plus digne du représentant de la vieille cité de ne pas se mêler en telle circonstance à la foule des tchinovniks, au milieu desquels il ne savait trop quel rang lui serait assigné. Pour ne prêter à aucune confusion, il se rendit à cette réception non en uniforme, mais en simple habit noir. Le gouverneur se montra choqué d’une telle liberté, comme d’un sans-gêne inconvenant, et laissa si bien voir son mécontentement qu’à quelques jours de distance le magistrat municipal se démit de ses fonctions. À la suite de cet incident, une circulaire du ministre de l’intérieur a déclaré le port de l’uniforme obligatoire pour tous les maires à toutes les réceptions officielles. Vers la même époque, le maire d’une autre des grandes villes de l’empire, celui de Perm, donnait également sa démission à la suite d’un désaccord avec les autorités locales. De pareils traits montrent que, pour être l’élu de ses administrés, le golova n’est pas toujours à l’abri du mauvais vouloir ou de la mauvaise humeur de l’administration. Dans ce cas, le gouverneur ou le ministre n’ont pas besoin de le révoquer, le golova se retire de lui-même.

L’autorité ou la vigilance des gouverneurs de province s’étend jusque sur les décisions de la douma. Le statut de 1870 les charge de veiller à la légalité des actes ou des résolutions des

  1. Cette distinction est d’autant moins motivée en Russie que les présidens des états provinciaux n’ont aucun uniforme, ce qui ne les empêche pas de figurer aux fêtes officielles.