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vif était le désir qu’avait cette petite fille de quatorze ans de se faire épouser par un roi de France. Le jeune roi ne l’avait pas encore vue et ne voulait pas se décider à l’épouser sans la connaître ; on obtint du duc Etienne que la jeune fille pourrait se laisser voir, comme par rencontre fortuite, dans un pèlerinage à Saint-Jean d’Amiens. La duchesse de Brabant, qui était du complot pour que le mariage eût lieu, lui donna toutes les leçons de coquetterie propres à la circonstance. Dieu sait si elles devaient merveilleusement fructifier chez cette future reine des modes nouvelles opulentes et bizarres ! On lui fit faire de belles robes. On lui dit ce qu’elle devait faire pour plaire. Elle était fort bien préparée quand elle vit le jeune prince. Elle s’agenouilla devant lui, et le roi ne pouvait la quitter des yeux. Il déclarait le soir même au sire de la Rovière qu’elle « lui plaisait. » Les dames, joyeuses de cet heureux succès, désiraient que les noces eussent lieu à Arras ; le petit roi voulut que tout fût conclu sans retard, et que le mariage fût célébré le lendemain même à Amiens. Il avait lieu en effet dans la cathédrale, où la jeune Isabeau était conduite dans un beau chariot dont les cerceaux étaient recouverts d’étoffes d’argent. L’entrée à Paris fut retardée pendant quatre ans. Isabeau n’en avait que dix-sept. Elle et le jeune Charles VI formaient bien le couple le plus étourdi, le plus épris des splendeurs et des amusemens, qui se pût voir en France. Le petit roi n’en était peut-être alors que plus populaire dans cette ville qui a toujours aimé la nouveauté, l’éclat, et qui salue toutes les aurores avec un entrain sujet à d’étranges retours. Sa jeunesse ajoutait à l’espérance. On avait assez du dernier règne.

Voyez maintenant se dérouler tout le programme de la fête parisienne dans l’ancienne société française. Les différences et les ressemblances avec ce qu’on a pu voir depuis se découvriront d’elles-mêmes. La jeune reine part en litière ; le moment des carrosses dorés n’était pas encore venu. Elle est accompagnée des duchesses de Bourgogne, de Berri, de Bar, de la comtesse de Nevers, de la dame de Coucy. Chacune a sa litière aussi. La duchesse de Touraine monte sur un superbe palefroi. Devant la litière d’Isabeau marchent à cheval le duc de Touraine et le duc de Bourbon ; aux deux côtés le duc de Bourgogne et le duc de Berri ; en arrière, le comte d’Ostrevant et le sire Henri de Navarre. Chaque litière des dames qui suivent la reine est aussi escortée de chevaliers. Le sire Henri de Bar et le sire Guillaume de Namur se tiennent auprès de la duchesse de Bourgogne. En sortant de Saint-Denis, voici venir déjà, dans tout l’éclat de ses costumes, l’élite de la bourgeoisie parisienne. La route est bordée de douze cents bourgeois de Paris, à cheval, et vêtus de robes