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charmé, vous n’éprouvez plus que de la lassitude, et la lassitude produit l’agacement. Les grands maîtres de l’Allemagne du XVIe siècle se distinguaient par l’intimité et le contenu de la passion, par la puissance du caractère, jointe au sentiment le plus pittoresque du détail. Leurs descendans sacrifient le pittoresque au Gemüth ; il est bon d’avoir du Gemüth, mais il ne faut pas s’en faire une profession. Il est fâcheux également de n’avoir pas assez de netteté et de vigueur dans le parti pris. On a dit jadis que dans une réunion de douze Allemands il y avait toujours vingt-quatre partis, par la raison qu’il y a deux partis dans chaque Allemand. Cela n’est plus aussi vrai qu’autrefois en politique, mais c’est encore vrai en peinture. Tout est compromis par l’indécision dans le choix, par la mollesse de la volonté, et l’artiste qui court après deux lièvres à la fois risque de les manquer tous les deux.

Cependant la section allemande renferme quelques tableaux de genre qui sont de véritables peintures de mœurs et dont l’exécution est d’une netteté irréprochable. La facture est un peu sèche, trop succincte dans la Banque populaire en faillite de M. Bockelmann ; mais ce défaut est racheté par la justesse et la finesse des intentions. Les désastres financiers qui ont affligé nos voisins dans ces dernières années ont trouvé leur peintre dans l’habile artiste de Dusseldorf. Une troupe de petits bourgeois et d’artisans, hommes et femmes, sortent de la séance où on vient de leur apprendre qu’ils toucheront tout au plus le 2 pour 100 sur leurs actions ; ils ont le front bas, le regard mélancolique, une figure de décavés. A quelques pas de là, de gros bonnets de la finance, désintéressés dans la question, dissertent sur la catastrophe, dont ils expliquent savamment les causes et les effets ; la galerie paraît trouver leurs explications aussi claires que peu consolantes ; sur le devant, une hotte de balayures renversée a répandu à terre un tas d’immondices. Mon Dieu ! oui, il n’y avait que cela dans la hotte, et voilà ce que c’est que de croire à l’eldorado et aux promesses dorées des Gründer. Un autre tableau, aussi bien observé, mais fort supérieur par l’exécution, est la Leçon de gymnastique de M. Piltz. Une vingtaine d’écoliers rangés sur deux files écoutent la démonstration de leur professeur, qui leur explique comment il faut s’y prendre pour passer de la deuxième position à la troisième. Ils l’en croient sur parole, ils sont désireux de bien faire, dociles, empressés, et ils ouvrent des yeux aussi grands que des portes cochères ; ce sont d’admirables échantillons de la deutsche Zucht. Une nombreuse assistance, le pasteur de la paroisse, un vieil invalide, des bonnes, des petites filles contemplent avec le plus vif intérêt cette scène, qui se passe au pied d’une sablière surmontée de quelques arbres. Il y a de