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premières amours ; mais il ne sied pas de les mépriser, ni surtout de les oublier. Il faut vivre à Paris et à Londres, quand on y trouve l’inspiration et la fortune ; mais il est bon de retourner quelquefois à Brindisi.


VI

Rien ne se ressemble moins que la peinture anglaise et la peinture espagnole, et ce sont les deux sections étrangères qui, par des raisons bien différentes, ont le plus attiré et captivé la foule. Les Anglais ambitionnaient ce succès, ils n’ont rien négligé pour l’obtenir, c’était pour eux une affaire d’honneur national. Ils ont fait donner toutes leurs troupes, ils ont même pris à leur solde des troupes recrutées sur le continent, ils ont porté sur le rôle de leur armée active des capitaines ou des colonels qui ne sont point à eux. Quoi qu’on dise et quoi qu’il fasse, M. Alma-Tadéma ne passera jamais pour un Anglais. Cet habile antiquaire, qui sait dessiner et peindre, est un Hollandais qui avait appris son métier avant de s’établir à Londres.

Dans le discours que lord Beaconsfield prononça le printemps dernier au banquet de la Royal Academy, il engageait les artistes de la Grande-Bretagne à ne plus se contenter de briller dans les genres secondaires, mais à porter plus loin leur ambition en s’essayant dans la peinture de style et d’histoire, dans ce qu’il appelait « les hautes sphères de la composition imaginative. » — « Cela se fera, s’écriait-il avec une fierté de conquérant ; une école nationale d’art doit à la longue représenter le caractère du peuple auquel elle appartient, et assurément s’il est dans le monde un peuple imaginatif ; c’est le peuple anglais, car c’est celui qui a produit le plus grand nombre de poètes illustres. » Il avait dit auparavant que l’idéal et le sentiment sont les sources du grand art, et il avait ajouté : « Bien que la civilisation tende à détruire le sentiment, une grande nation comme l’Angleterre, une nation chargée de grandes responsabilités, ne peut renoncer à avoir de grands sentimens et à se nourrir d’idées aussi élevées que la situation qu’elle occupe dans ce monde. C’est à ses artistes d’exprimer par des œuvres animées d’un souffle héroïque les aspirations latentes, mais vivaces, de la communauté. »

Il est certain que les œuvres de style sont rares dans la section anglaise du Champ de Mars. Celles qu’on y trouve, l’Amour et la Mort, de M. Watts, le Merlin et la Viviane, de M. Burne Jones, d’autres encore, qui sont fort admirées des Anglais, étonnent le goût continental plus qu’elles ne le satisfont. Il se peut que l’appel de lord Beaconsfield soit entendu ; nous doutons cependant que la