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Nous avons dit qu’il y a un demi-siècle et même moins les tsiganes ne jouaient que pour la noblesse, et une musique exclusivement appropriée à son goût et répondant à ses besoins. Il nous reste à indiquer les causes qui ont modifié leur physionomie musicale. Rivés aux fluctuations de la vie du peuple magyar, les tsiganes se transformaient à mesure que ce dernier perdait son aspect primitif. Et, comme la transformation des Magyars s’opérait de deux manières, par l’abolition des privilèges et par l’introduction de la civilisation occidentale, la musique des tsiganes subissait, elle aussi, deux influences analogues, celle de l’élément populaire et celle de l’élément étranger. Comme le thermomètre suit les progrès de la chaleur du jour, la musique hongroise gagnait en mouvement, en éclat, à l’éclosion de chaque idée libérale d’un Paul de Nagy, et essayait une nouvelle forme après chaque tentative civilisatrice du comte Széchenyi, dont la voix prophétique venait de faire retentir la célèbre phrase : « La Hongrie n’est pas le passé, elle est l’avenir ! » C’était le temps où Ruzsicska faisait représenter à Kolosvar en Transylvanie le premier opéra hongrois, où fut créé le népszinmu, le drame populaire, dont les personnages appartiennent toujours aux dernières classes, et dans lequel les chansons populaires, chantées par les solistes ou en chœur, alternent, comme dans l’opéra-comique, avec le dialogue. Les esprits clairvoyans comprenaient dès lors qu’un pays ne peut devenir florissant si tous ses enfans n’ont pas le même intérêt à sa grandeur. L’abolition des privilèges, l’égalité politique, étaient réclamées avec une insistance croissante, et l’on s’attachait avec ardeur à étudier les aspirations du peuple et ses besoins. C’est ainsi qu’on a découvert, en quelque sorte, la richesse des chansons populaires, des népdalok, et qu’on les a mises à la mode. Elles sont devenues très recherchées par l’aristocratie et ont envahi bientôt le répertoire des tsiganes, qui, après les avoir transcrites pour leur orchestre, les plaçaient dans les hallgató-notas entre les adagios et les codas, ou les substituaient aux premiers ; mais l’économie du morceau, son homogénéité, ayant beaucoup perdu par cette intercalation, ils ajoutaient plus tard une chanson vive à la fin de la coda, ce qui leur procurait aussi un finale proportionné aux trois morceaux précédens. Cet heureux équilibre entre la musique purement instrumentale de la noblesse et les transcriptions des airs populaires n’a pu se maintenir longtemps : les événemens politiques l’ont détruit comme ils l’avaient établi. Le grand agitateur Louis Kossuth et son parti préparaient un dénoûment terrible : les réformes devenaient insuffisantes, on voulait la révolution ; pour y amener le peuple, il fallait le flatter par tous les moyens. Après ses chansons, dont les meilleurs poètes imitaient la forme, on adopta sa danse peu compliquée, naïvement