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Suivant la remarque si juste de M. Michel Chevalier, le bimétallisme français, servant de parachute, a soutenu sans broncher l’inondation des dix milliards d’or arrivés en dix ans de la Californie et de l’Australie. Que les États-Unis adoptent le rapport français, et la France pourra reprendre la frappe illimitée de l’argent aussitôt que la consommation américaine et les exportations en Asie auront ramené ce métal au pair.

On dit que la Suisse, la Belgique et même la France veulent rompre l’union latine, qui expire dans un an et demi. Ce serait regrettable. Au moment où les pays s’entendent afin d’établir des tarifs communs pour les postes, pour les télégraphes, pour tout ce qui facilite les communications, pourquoi briser un faisceau qui repose sur la communauté des habitudes et sur les nécessités d’un immense mouvement d’échanges ? Les inconvéniens, — et il y en a sans doute, — sont-ils suffisans pour reculer ainsi dans la voie civilisatrice de l’assimilation internationale ? Une politique d’isolement monétaire serait impossible pour les petits états ; deux expériences faites en Belgique l’ont prouvé. En 1850 on démonétise l’or ; mais l’or français proscrit continue à circuler, et après dix ans de lutte les réclamations du commerce obligent le gouvernement à le réadmettre dans la circulation. La Belgique a un billon de nickel léger, commode, que tout le monde préfère et que l’état et la banque acceptent seuls. Néanmoins le bronze français, proscrit comme l’était l’or, envahit la circulation, et le nickel use ses sacs dans les caves de la Bauque nationale. On peut ne pas renouveler le traité, l’union latine se maintiendra en fait. Dès lors pourquoi se séparer quand tout convie les peuples à une union plus intime ?

La monnaie est essentiellement chose internationale, car, qu’il y ait ou non uniformité du rapport monétaire, les décisions d’un état jettent le trouble dans les relations commerciales de tous les autres pays civilisés. L’Allemagne, en démonétisant l’argent, a fait perdre à l’Angleterre, malgré son étalon d’or, plus de 100 millions par an dans ses échanges avec l’Inde. Il n’y a donc pas d’intérêt qui appelle plus impérieusement l’intervention d’une conférence internationale ; c’est incontestable, à quelque point de vue qu’on se placé. Il est donc à souhaiter qu’un accord entre les principaux états sorte de la conférence réunie à Paris. La solidarité de tous est si intime, les perturbations imprimées au marché monétaire se répercutent si loin et ont de si graves conséquences, qu’il est du devoir de chacun de ne pas agir isolément, sans une tentative préalable d’entente avec les autres pays.


EMILE DE LAVELEYE.