Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/964

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et quelle s’est engagée dans un fourré épineux, qu’elle est exposée à être assez longtemps campée en pays ennemi. Peut-être aurait-elle mieux fait de s’entendre avant tout avec la Porte sur les conditions d’une occupation qui, après tout, jusqu’ici n’abroge pas diplomatiquement la domination au moins nominale et théorique de l’empire ottoman.

Comment M. de Bismarck envisage-t-il ces premiers embarras de l’Autriche, embarras qui ne sont pas bien sérieux, sans doute, mais qui pourraient s’aggraver et devenir une charge ? Il est probable qu’il ne s’en émeut guère, qu’il ne s’inquiète pas de ce qui peut occuper les autres. M. de Bismarck, dans les loisirs de sa curé à Kissingen, a le temps de méditer sur les élections qui viennent de se faire et sur les conséquences qu’elles peuvent avoir pour la direction de la politique de l’Allemagne, En réalité ces élections n’ont pas changé d’une manière bien sensible et bien décisive la distribution des partis dans le Reichstag. Les nationaux-libéraux ont perdu quelques sièges, les progressistes ont été plus atteints, les conservateurs ont eu quelques avantages, et le centre catholique garde à peu près sa force parlementaire. Les socialistes perdent des sièges dans la chambre, mais ils ont gagné au scrutin un nombre considérable de voix. Nous ne parlons pas pour le moment de l’Alsace-Lorraine, où, malgré une pression officielle poussée à outrance, les candidats dits de la protestation ont été presque tous nommés. Les élections de l’Alsace-Lorraine pourraient avoir une histoire à part : ce serait l’histoire des candidatures patronnées, se produisant avec tout le luxe des influences administratives et finissant par échouer presque partout devant le sentiment public. Au totale à quelques voix près, sauf les quelques avantages obtenus par les conservateurs, le Reichstag reste ce qu’il était, et M. de Bismarck se trouve conduit à se demander si, pour avoir la majorité, il s’appuiera sur les nationaux-libéraux, comme il l’a déjà fait jusqu’ici, ou s’il se tournera vers le centre catholique qui peut lui offrir un contingent de 100 voix. Tout dépend de la politique qu’il veut suivre. Si le chancelier n’a d’autre pensée que d’obtenir du parlement des lois répressives contre le socialisme, contre les propagandes démagogiques, il n’a aucune évolution à faire, il est bien sûr de trouver un concours suffisant parmi les nationaux-libéraux ; mais c’est là justement la question. Évidemment il y a autre chose aujourd’hui. Les négociations engagées avec le Vatican révèlent la pensée d’une certaine modification ou tout au moins d’une certaine atténuation dans la politique religieuse. D’un autre côté, il y a des questions financières, économiques, sur lesquelles le chancelier n’est pas toujours d’accord avec les nationaux-libéraux. Comment M. de Bismarck se propose-t-il de débrouiller ces difficultés ? C’est son secret, il le dira sans doute dans quelques semaines, où le Reichstag se rouvrira à Berlin.


CH. DE MAZADE.

Le directeur-gérant, C. BULOZ.