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énergiquement n’aurait pas survécu à cette polémique ; mais il s’est élevé des voix très autorisées pour défendre, au point de vue des principes, l’œuvre de l’assemblée constituante, confirmée, après discussion, par toutes les assemblées législatives qui lui ont succédé, et l’un des hommes qui ont le plus honoré le conseil d’état par leurs travaux, M. Vivien, a publié sur cette question en 1841, dans la Revue, des pages qui n’ont rien perdu de leur force. Ce n’est pas à nous qu’il conviendrait de mettre en doute l’influence considérable qu’ont exercée sur le revirement de l’opinion publique l’habileté des défenseurs de la juridiction administrative et la solidité des argumens qu’ils ont su faire valoir. Nous n’avons pas l’intention de reprendre l’œuvre de discussion qu’ils ont menée à bonne fin ; mais il faut dire que le succès de leurs théories est dû en partie à deux faits considérables : les réformes introduites dans l’organisation et la procédure de cette juridiction, et les services qu’elle a rendus au public en le protégeant contre les erreurs et les entraînemens des agens de l’administration.

Il y a eu dans le premier fait une satisfaction légitime donnée aux réclamations de ceux qui lui reprochaient de ne pas offrir les garanties extérieures qu’on trouve devant l’autorité judiciaire. A ces garanties extérieures, la jurisprudence du conseil d’état est venue ajouter une démonstration pratique de la protection efficace que les droits privés pouvaient trouver dans le contrôle de la juridiction administrative; et, comme l’expérience s’est prolongée pendant plusieurs générations, à travers différens régimes politiques, il a été bien établi que ce n’était pas seulement au mérite de quelques hommes, mais à la nature même de l’institution qu’on devait attribuer ces précieux résultats.,

Un des points les plus saillans, nous dirions volontiers les plus curieux, de cette jurisprudence, c’est la création du recoure pour excès de pouvoirs. Le conseil d’état, on peut le reconnaître aujourd’hui, a eu quelque peine à trouver dans les textes de loi, avant la loi du 24 mai 1872, la base de ce recours qui lui fait exercer tous les pouvoirs d’une cour de cassation sur les actes de tous les agens de l’administration, sur ceux des juridictions administratives qui statuent en dernier ressort et même sur ceux des corps électifs, comme les conseils généraux et les conseils municipaux quand ils ont une autorité propre. Cependant il a réussi dans cette tâche difficile, il a développé ses doctrines avec une persévérance et un esprit de suite qui ne se sont jamais démentis pendant plus de cinquante ans, et c’est à lui plus qu’au législateur, nous sommes autorisé à le dire, que les citoyens doivent être reconnaissans des garanties données par ce recours.