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italienne, sans compter ceux qui devaient lui être imposés à Prague. Quant à l’ambition de la Prusse, — l’hégémonie des états du nord, — elle n’était réellement pas en proportion avec l’enjeu énorme qu’elle risquait : c’était la perte de la Silésie, l’agrandissement à ses dépens de la Saxe, du Hanovre et de la Bavière, son amoindrissement sinon son effacement définitif en Allemagne, sans parler des frais de l’alliance ou de la médiation française, qui pouvait lui coûter toute la rive gauche du Rhin.

Il faut en convenir, c’eût été pour M. de Bismarck jouer gros jeu que de se jeter dans une guerre où les chances se trouvaient si inégales sans autres garanties que les assurances verbales rapportées de Biarritz. Heureusement pour lui, il en avait de plus sérieuses, il avait des intelligences dans toutes les cours allemandes, et il n’ignorait pas ce que leur langage officiel cachait de doutes et de perplexités. Il était renseigné à merveille sur les ressources de ses adversaires, il se flattait avec raison que les contingens méridionaux ne prêteraient à l’armée autrichienne qu’un concours lent et insuffisant, il était sûr d’avoir pour lui la supériorité du nombre et de l’armement, et ses dispositions pour être renseigné étaient si bien prises que ses états-majors pouvaient procéder en quelque sorte mathématiquement sur des données positives. Il avait mieux encore pour lancer son pays dans une aventure aussi redoutable : il tenait l’alliance sans laquelle on ne pouvait rien et avec laquelle on pouvait tout. Il connaissait l’influence irrésistible de l’Italie à la cour des Tuileries et il savait qu’elle lui vaudrait la neutralité certaine de la France. C’était pour sa politique la garantie la plus précieuse, et, bien qu’il n’ignorât pas les vœux qu’on formait pour le succès des armes autrichiennes et qu’il se doutât des pourparlers qui se poursuivaient avec Vienne, il prévoyait que la France serait paralysée par les liens qui l’unissaient à son alliée, et que son intervention ne se produirait que lorsque les coups décisifs seraient portés. Il entrait donc dans la lutte avec toutes les apparences de la plus audacieuse témérité, mais ayant en réalité des cartes maîtresses dans son jeu. Il était garanti du côté de la Russie, sinon par un traité, du moins par l’intimité des deux souverains, et il avait une alliée qui lui assurait la sécurité absolue du côté de l’ouest. N’ayant pris aucun engagement, il pouvait, suivant les chances de la guerre, régler le prix de notre complaisance.


G. ROTHAN.