partit seul en reconnaissance, sans prévenir personne, afin d’aller examiner, s’il se pouvait, l’importance des obstacles contre lesquels il aurait à lutter ; il a dû suivre la rue des Tournelles, le passage Jean-Beausire, la rue Jean-Beausire, et aller ainsi, presque à tâtons, au milieu de l’obscurité, jusqu’à l’angle de la rue et du boulevard. Au moment où, accoté contre la dernière maison à gauche, il avançait la tête pour découvrir la place de la Bastille, un fédéré, placé en vedette, dans l’ombre de quelque porte cochère, l’aperçut et, évitant de tirer pour ne point donner l’éveil aux troupes campées sur la place Royale, le frappa à la nuque d’un coup de crosse lancé à toute volée. Le choc a brisé la base du crâne, le chien du fusil a perforé les os, le contre-coup a déchiré l’artère basilaire. La mort a été foudroyante ; le bon soldat n’a point souffert. Après avoir été tué, il fut dévalisé. On lui enleva ses bottes, son sabre, son ceinturon, un revolver à garniture d’argent qui était un premier prix de tir obtenu dans un concours, son porte-monnaie et une sacoche en cuir contenant 3,800 francs. C’est ainsi du reste que la commune a fait la guerre ; tout soldat tué et tombé entre ses mains a été immédiatement dépouillé. Un acte législatif publiquement délibéré a rendu justice à la mémoire du marquis Bernardy de Sigoyer ; l’assemblée a voté, sans contestation ni réserve, une rente perpétuelle pour sa veuve, à titre de récompense nationale ; l’exposé des motifs dit[1] : « Si parmi les trésors de l’art ancien et de l’art moderne amoncelés dans le Louvre, quelques-uns avaient été déplacés, le plus grand nombre restait encore et allait disparaître dans un épouvantable sinistre, lorsqu’est intervenu avec autant de courage que d’à-propos le 26e bataillon des chasseurs à pied ; eh bien ! le brave commandant qui l’a conduit, celui que ses compagnons d’armes sont unanimes à proclamer le plus méritant de tous, il est mort, et c’est vis-à-vis de sa famille désolée que la France peut et doit s’acquitter du service immense rendu à la civilisation par la conservation du musée du Louvre. » L’histoire, en ceci, sera d’accord avec la puissance législative ; car, si sa mission est de flétrir les envieux qui ont tout fait pour détruire notre ordre social, son devoir est d’honorer les héros qui n’ont rien épargné et qui ont donné leur vie pour le sauver.
MAXIME DU CAMP.
- ↑ Voir le Journal officiel du 22 août 1871.