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représentans. C’était un acte de braverie par lequel de vieux soldats donnaient aux jeunes, sous l’apparence de la force morale, le spectacle déplorable et le mauvais exemple de l’endurcissement et de l’oubli des plus inviolables respects.


Les respects forcés du règlement ont pour sanction, dans l’ordre des faits quotidiens, les divers degrés d’une pénalité militaire correctionnelle qui est en quelque sorte tarifée et qui s’applique, selon leur gravité, aux manquemens des troupes en garnison et casernées : la consigne et différentes interdictions, — la salle de police, — la prison, — le cachot. — Si l’on considère que, du jour où les troupes marchant à l’ennemi ont passé la frontière, la sanction des respects s’évanouit avec la possibilité d’appliquer les peines qui la représentent, qu’en dehors des conseils de guerre réservés aux délits graves et aux crimes (qui restent le plus souvent inconnus), tous les moyens ordinaires de répression et presque tous les moyens de surveillance échappent à l’autorité militaire, que ces moyens lui échappent encore plus complètement quand, après les longues marches et les combats qui désorganisent, les tentations et les passions du soldat qui souffre sont au plus haut point exaltées,... on comprendra sans peine : 1° qu’il perde le sentiment et les habitudes du respect jusqu’à n’avoir plus la déférence voulue, pas même celle du salut réglementaire, d’abord pour les chefs militaires qui ne sont pas directement les siens, et bientôt pour ses propres officiers[1] ; 2° que, la guerre se prolongeant, les liens de la discipline se relâchent dans les troupes; 3° que les revers survenant avec la dépression morale et les souffrances qui les accompagnent ordinairement, elles aillent jusqu’au désordre et jusqu’à la démoralisation dont les populations, dans la dernière guerre, ont eu quelquefois le spectacle douloureux.

Je pourrais aller plus loin dans cette pénible discussion, multiplier les citations et préciser les faits qui se pressent dans mes souvenirs. Je m’arrête, car le sujet est attristant. J’en ai dit assez pour montrer la destinée qui attend les peuples dont les armées n’ont que les respects forcés de la règle écrite, sans avoir les libres respects de principe nés d’une éducation nationale et militaire bien conduite. Les premiers n’assurent que la discipline de la garnison, et ils sont impuissans, sans les seconds, à fonder la discipline de la guerre.

J’expose les procédés par lesquels je crois qu’on peut faire pénétrer

  1. Dans toutes les guerres contemporaines, nous avons pu observer et nous avons eu à réprimer trop souvent chez nos soldats cette progression dans l’oubli des respects élémentaires qui prépare inévitablement de graves manquemens à la discipline.