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avis. Selon lui, le singe partage avec nous ce privilège. « Un grand nombre d’espèces de singes font entendre, lorsqu’ils sont contens, un son saccadé évidemment analogue à notre rire, et souvent accompagné du claquement de leurs mâchoires ou de leurs lèvres; en même temps les coins de la bouche sont retirés en arrière et en haut, leurs joues se plissent et leurs yeux brillent. » Reste à savoir si le rire du singe exprime la même chose que le nôtre; s’il est, comme chez l’homme, le reflet d’une âme épanouie, l’écho sonore d’une pensée joyeuse dans une expansion nouvelle et imprévue de son activité, ou une simple grimace par où se dégage le trop plein de l’énergie physique, — ce qu’on pourrait appeler une gambade du visage. — Il est embarrassant pour l’évolutionnisme que les singes anthropomorphes ne pleurent pas : qui a le don du rire devrait, semble-t-il, avoir celui des larmes. Mais, fait observer M. Darwin, d’autres singes assez éloignés de notre espèce pleurent; ce qui lui permet de conjecturer que l’homme est issu d’une branche latérale à celle des singes anthropomorphes, branche éteinte aujourd’hui, et dont les individus avaient inventé déjà cette manifestation vraiment humaine de la douleur.

La rougeur et la pâleur, comme signes de certaines émotions morales, passent généralement pour des caractères distinctifs de notre espèce. « Comme il est dans l’ordre de la nature, dit Gratiolet, que l’être social le plus intelligent soit aussi le plus intelligible, cette faculté de rougeur et de pâleur qui distingue l’homme est un signe naturel de sa haute perfection[1]. » Ce recours au principe de la finalité ne peut être accepté par l’évolutionnisme. M. Darwin ne va pas jusqu’à soutenir que les animaux rougissent sous l’influence de la pudeur ou de la honte : mais il estime que la rougeur dans l’homme n’eut pas à l’origine la même signification morale qu’aujourd’hui. Elle est même, à l’en croire, une survivance d’un état social fort ancien et fort grossier, où les hommes et les femmes allaient encore presque nus. La cause de la rougeur serait, en effet, la pensée que notre extérieur est soumis à un examen attentif, surtout de la part d’une personne de l’autre sexe. Si le visage rougit seul chez les peuples civilisés, c’est que, seul, il est à découvert; néanmoins on a observé que souvent le cou, la poitrine même rougissent en même temps, et, chez les sauvages, la rougeur, paraît-il, descend fréquemment jusqu’à la ceinture. — Et comment se produit, selon M. Darwin, cette coloration subite de la peau? L’attention dont nous nous sentons l’objet excite en nous une certaine inquiétude, dans le cas principalement où nous désirons plaire à

  1. De la Physionomie et des mouvemens d’expression.