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dont il est impossible de déterminer les effets, des vocables primitivement identiques. Tous les bruits de la nature ont dû, à l’origine, être reproduits par le langage. Comment croire, par exemple, que le tonnerre n’ait pas été nommé partout d’un mot imitatif ? Max Müller a fait voir, il est vrai, que dans les langues indo-européennes ce mot dérive d’une racine sanscrite, tan, qui veut dire tendre, étendre, d’où tonare, τόνος, tener, tennis, etc., le tonnerre ayant été rangé par les premiers Aryas sous le concept général des choses qui s’étendent et se prolongent, ce qui évidemment n’a rien de commun avec une onomatopée. Mais on peut raisonnablement mettre en doute que ce procédé savant ait été celui des temps les plus reculés. Le tonnerre a dû recevoir un nom avant que l’idée abstraite d’extension ne se soit exprimée dans une racine commune ; ce nom fut d’abord imitatif, comme il l’est encore aujourd’hui dans tous les idiomes des sauvages.

En dépit de l’arrêt de Max Müller, qui les déclare stériles, les interjections sont, elles aussi, une source féconde de mots. La douleur, la crainte, l’étonnement, la joie, le dégoût, la colère, le mépris, provoquent certains mouvemens involontaires du gosier, des lèvres, des narines ; les sons qui en résultent sont par suite les mêmes chez tous les hommes, et une patiente analyse les retrouve sans trop de peine dans les substantifs et les verbes qui expriment ces diverses émotions. C’est du moins ce que nous semble démontrer suffisamment le court et solide ouvrage de M. Wedgwood. Ne prenons qu’un seul exemple. — Dans l’étonnement, dans l’attention énergique et concentrée, on ouvre instinctivement la bouche ; la cause en est probablement que, par suite de la communication interne qui existe entre la bouche et les oreilles, nous entendons mieux quand l’air, qui est le véhicule du son, remplit la cavité des joues. Aussi, lorsque nos facultés sont vivement sollicitées par l’observation d’un objet qui excite la surprise, la bouche s’ouvre-t-elle comme d’elle-même pour faciliter la perception du moindre bruit venant de l’objet. Les lèvres, en se séparant, semblent prononcer la syllabe ba, que nous retrouvons, dans les langues les plus diverses, comme racine des mots qui expriment l’étonnement, l’attention soutenue, la vigilance, l’attente, l’action d’épier, et, en passant du phénomène mental au phénomène physique, l’action de bâiller, d’ouvrir la bouche, et, enfin, celle d’ouvrir en général. La répétition de la même syllabe donne les exclamations de surprise, βαβαὶ, en grec, babœ, papœ, en latin ; de même bah ! en français, les verbes ébahir, ébaudir (faire crier ba). En langue zoulou, babaza veut dire étonner ; en italien, badare, examiner attentivement, épier, flâner, s’arrêter ; stare a bada, observer ; en provençal, badalhar,