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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/244

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Son élection au sénat l’an passé avait été une des rares victoires des républicains libéraux dans la haute chambre.

C’est la longue carrière d’un homme public qui a traversé toutes les vicissitudes du siècle, comme magistrat, comme membre des assemblées parlementaires. Dans toutes ces positions qu’il a occupées à travers les mobilités du temps, M. Renouard a porté un caractère simple et ferme, l’esprit d’un politique modéré, d’un jurisconsulte philosophe et moraliste qui s’attachait aux principes du droit. Il a laissé des rapports substantiels ou des traités lumineux sur les faillites, sur l’instruction publique, sur la propriété littéraire, qui lui avaient ouvert l’Académie des sciences morales, et plus d’une fois, dans ces dernières années, à la rentrée des tribunaux, il avait prononcé des mercuriales qui continuaient les fortes traditions parlementaires. Il avait notamment exposé le devoir d’impartialité pour le juge vis-à-vis du pouvoir comme vis-à-vis des partis, et un autre jour, à l’arrogance des victorieux invoquant la force, il avait opposé l’autorité du droit. M. Vacherot, chargé de représenter l’Académie des sciences morales, a parlé avec un sentiment cordial et élevé de ce vétéran de la politique et de la magistrature. Et M. Renouard cependant n’était encore qu’un jeune homme auprès de cet autre membre de l’Institut, M. Joseph Naudet, qui vient de mourir, lui aussi, presque à l’improviste, qui, assez récemment, avec sa grande taille et son allure toujours ferme, semblait porter si vertement ses quatre-vingt-douze ans. M. Renouard était un magistrat. M. Naudet, qu’on a vu longtemps à la Bibliothèque nationale, était un savant lettré, un historien sûr, un humaniste supérieur, qui avait traduit Plaute et fait des études intéressantes sur Etienne Marcel, sur la société et l’administration romaines. C’était un lauréat universitaire de 1803, un membre de l’Académie des inscriptions de 1817, un érudit d’autrefois qui savait se tenir au courant et profiter des découvertes de la science moderne. Les hommes comme M. Naudet représentent les lettres, les aimables cultures de l’esprit, le goût et le savoir dans ce qu’ils ont de plus désintéressé ; ils vivent, et ils s’en vont un jour presque sans bruit, tandis qu’autour d’eux le monde change de face et les événemens se pressent.

Qu’en sera-t-il aujourd’hui de tous ces événemens de la politique universelle, des suites de l’œuvre diplomatique de Berlin, de toute cette situation où l’Europe se débat? Le problème est loin d’être éclairci, l’ordre nouveau qu’on a prétendu créer est loin d’être encore une réalité, et on marche en vérité à tâtons, fort laborieusement, à travers des complications qui ont de la peine à se débrouiller. M. Louis Blanc, dans ses lettres à l’association des amis de la paix et au congrès qui vient de se réunir au Château-d’Eau, à Paris, a beau envoyer ses recettes et proposer, comme garantie suprême de concorde entre les peuples, l’établissement