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à la fois; mais ce qui ne l’était pas, c’était, en se prêtant à d’aussi grosses complications, de se prémunir des deux côtés sous une forme quelconque contre les hasards de la guerre et surtout contre l’ingratitude du vainqueur. C’est ce que M. Benedetti a reconnu dans le livre qu’il a consacré à la défense de sa mission. « La faute que nous avons commise, dit-il, c’est d’avoir décliné toutes les suggestions du comte de Bismarck, car de deux choses l’une : ou elles étaient de nature à être agréées, et l’Allemagne n’était plus un danger pour nous, ou elles étaient inacceptables, et la rupture des négociations aurait fait surgir entre les deux gouvernemens une défiance qui aurait forcément paralysé les convoitises de la Prusse. »

Bientôt les entretiens du président du conseil avec notre ambassadeur, dans l’origine si fréquens, si expansifs, devinrent plus rares et surtout plus réservés. M. de Bismarck, ayant échoué dans ses tentatives, avait perdu toutes ses illusions. Il restait convaincu que nous ne sortirions pas de notre neutralité, mais il tenait pour démontré que nous avions placé notre enjeu sur la carte adverse et que nous escomptions sur le Rhin les victoires que l’Autriche remporterait en Bohême. Il estimait que nos calculs étaient faux et que nous pourrions bien le regretter un jour.

M. de Bismarck s’était exagéré l’étendue et la portée de notre action à Florence. La condescendance du cabinet italien à l’égard de l’empereur n’allait pas jusqu’à lui « faire lâcher la proie pour l’ombre. » Il était trop avisé pour sacrifier les bénéfices certains qu’il attendait du traité de Berlin à une cession conditionnelle de la Vénétie basée sur les victoires éventuelles de l’Autriche.

L’Italie d’ailleurs, indépendamment de la question de loyauté, ne se souciait pas d’ajouter un nouveau titre à sa dette de reconnaissance envers nous. Elle préférait la guerre qui s’offrait à elle, dans des conditions exceptionnelles, avec le concours d’une grande puissance militaire et avec la certitude qu’en cas de revers nous ne permettrions pas à l’Autriche de revenir sur les conséquences de la campagne de 1859.

Il n’est pas aisé de se consacrer à la délivrance des peuples sans porter atteinte à leurs susceptibilités et sans se trouver tôt ou tard en opposition avec leurs intérêts. L’empereur devait en faire la pénible expérience. Il avait beau n’intervenir dans les affaires de l’Italie qu’avec le sentiment le plus généreux, uniquement pour lui donner de bons conseils et guider son inexpérience, il n’en froissait pas moins son amour-propre et ses aspirations. Déjà ses intérêts n’étaient plus conformes aux nôtres, notre tutelle commençait à lui peser, elle tenait à s’affirmer, et sa politique, contrairement à nos désirs, lui commandait de ne pas s’aliéner, par une conduite sinon