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l’autre, soumises toutes deux en apparence aux règles établies par la loi, si bien que l’inspecteur pouvait y entrer sans que rien choquât son regard. Au fond, les parens savaient à quoi s’en tenir et choisissaient en toute liberté de conscience celle des deux où leurs enfans n’étaient pas exposés à recevoir l’enseignement qu’ils redoutaient.

Cependant protestans et catholiques étaient loin d’être d’accord en ce moment, car l’agitation entretenue par les discours enflammés d’O’Connell avait creusé le fossé qui les séparait. Au commencement du siècle, l’acte d’union entre l’Irlande et l’Angleterre avait froissé tous les patriotes, à quelque confession qu’ils appartinssent. La noblesse protestante surtout s’en était offensée parce qu’elle y perdait ce qu’elle avait auparavant possédé d’influence sur les affaires du pays. Une campagne entreprise pour obtenir le rappel de l’union eût alors obtenu toutes les adhésions, d’autant que les souvenirs de l’ancien parlement restaient encore vivaces, puisqu’il n’avait été supprimé qu’en 1800. O’Connell crut préférable de réclamer d’abord l’émancipation des catholiques. Il y parvint après vingt années de lutte; mais, ses coreligionnaires étant devenus électeurs et éligibles, lorsqu’il voulut, après 1830, soulever la question du repeal, la situation n’était plus la même. Les propriétaires protestans s’étaient dégoûtés d’un parlement national où leurs adversaires religieux se seraient trouvés en majorité. Les évêques eux-mêmes, ainsi que les catholiques des hautes classes, satisfaits du résultat obtenu, préféraient ne pas se remettre en hostilité contre le gouvernement. Traité par eux de démagogue, le grand tribun avait pour lui les classes moyennes, le bas clergé, la population rurale qui suivait l’impulsion de ses curés. Il crut que c’en était assez, qu’à force d’exciter le pays par des meetings et des discours, il forcerait la main au parlement britannique. Maintenir une agitation constante, sans jamais enfreindre la lettre de la loi, telle était sa règle de conduite. Cette politique est dangereuse partout; elle l’est surtout chez un peuple ignorant et nerveux. O’Connell échoua; il y perdit une partie de la popularité que sa vie précédente lui avait acquise. Lorsque la mort vint l’atteindre, il n’était pas seulement usé ; il avait eu le malheur d’entretenir chez ses compatriotes un état d’irritation que des calamités prochaines devaient encore aggraver.

Aigri par une misère trop réelle, excité par les harangues de son orateur favori, l’Irlandais était alors démoralisé. L’essor qu’eurent à cette époque les sociétés secrètes en est la preuve évidente. On prétend qu’il y en a eu de tout temps dans cette île ; cependant il paraît certain que de 1820 à 1870 elles eurent plus de développement