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Quelques mois auparavant, aux premiers signes de la tempête qui allait sévir sur l’Europe, il y avait eu de graves dissensions entre les meneurs de la jeune Irlande. Le journal la Nation, leur organe, était dirigé par un comité de trois membres : Gavan Duffy, Darcy Mac-Gee et John Mitchell. Les deux premiers se disaient partisans d’une agitation légale, constitutionnelle. Mitchell, au contraire, prêchait la révolte. À l’entendre, la politique modérée avait énervé le pays ; suivant une formule moderne que l’on n’avait pas encore énoncée avec cette précision, c’était par le fer et par le sang que l’Irlande devait être sauvée. Smith O’Brien répugnait à suivre ce nouveau programme. Mitchell quitta la Nation pour fonder une feuille hebdomadaire, the United Irishman, dont chaque ligne était un appel aux armes. Au troisième numéro arriva la nouvelle de la chute de Louis-Philippe ; de semaine en semaine, il n’y eut plus que des bulletins de victoire à enregistrer, que des exemples d’insurrection à mettre sous les yeux du lecteur. Il faut bien le dire, les misères de l’année précédente avaient préparé le terrain pour une guerre d’indépendance. De pauvres hères, épuisés par la famine et convaincus que les vices du gouvernement anglais étaient la cause de ce fléau, se laissèrent persuader sans peine qu’il valait mieux périr les armes à la main pour la liberté de la patrie que de mourir de faim au seuil de leurs demeures. Des émissaires se répandirent dans les provinces pour exciter l’opinion publique. O’Brien et ses amis n’osaient se prononcer hardiment contre un mouvement qui leur semblait devenir de jour en jour plus irrésistible. Le clergé seul prit parti sans hésitation contre les révolutionnaires, surtout pour obéir à une tradition constante de l’église, un peu aussi par un reste de fidélité aux enseignemens d’O’Connell, qui avait toujours blâmé les insurrections. Le dévoûment que les curés avaient montré pendant la famine n’avait pas peu contribué à raffermir leur influence sur les cultivateurs. Au surplus, le peuple était si mal armé, si peu préparé pour une insurrection, que personne n’eût remué peut-être si le gouvernement n’eût donné le signal lui-même par un excès de sévérité.

Le 21 mars, O’Brien, Meagher et Mitchell furent arrêtés ; ce dernier à cause de ses écrits, les deux autres sous prétexte de discours séditieux. Mitchell fut seul traduit devant un tribunal, l’accusation ayant été abandonnée contre ses compagnons : cette arrestation commune créait entre eux une communauté d’intérêts qui n’existait pas auparavant. Les confédérés les plus ardens jurèrent de mettre le peuple en branle le jour où leur chef serait amené devant le jury. Ceux qui obéissaient à O’Brien désapprouvèrent cette prise d’armes. Dans l’incertitude, la foule resta tranquille ; mais lorsque