Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mitchell fut condamné à quatorze années de déportation, par un brusque revirement, tous, Smith O’Brien entête, s’accordèrent à dire qu’il fallait appeler les Irlandais aux armes. Par un reste d’indécision, ils ajournèrent le mouvement à trois mois de là, au milieu d’août, sous prétexte que les préparatifs ne pouvaient être achevés plus tôt, et qu’il serait impossible de remuer les paysans avant la moisson. En attendant que le moment fût venu, ils parcouraient le pays pour organiser des bandes de partisans.

Lord Clarendon était lord-lieutenant d’Irlande. Les arrestations déjà faites en mars prouvent qu’il avait résolu d’étouffer la rébellion avant qu’elle eût le temps d’éclater. Les conjurés se croyaient assurés d’avoir quelques semaines de liberté, car la loi anglaise ne permettait pas qu’ils fussent saisis et jugés sans les formalités d’un long procès. Ils n’avaient pas prévu, paraît-il, la suppression de l’acte d’habeas corpus. Aussitôt votée par le parlement, la loi martiale fut proclamée dans la dernière semaine de juillet. Des détachemens d’infanterie et de police furent lancés en tous sens à travers le pays. Des bateaux à vapeur croisèrent sur le littoral pour empêcher les évasions. O’Brien et ses compagnons avaient déjà décidé d’établir le centre de leur gouvernement insurrectionnel à Kilkenny, dans le comté de Tipperary. Dès que cette nouvelle leur parvint, ils s’y rendirent en toute hâte, suivis par des milliers de paysans. Les prêtres, qui s’étaient mêlés à cette foule, firent valoir qu’il n’y avait ni fusils, ni provisions, encore moins de canons et de cavalerie, ni officiers, ni plan de campagne. Attaquer le gouvernement, c’était courir au-devant d’une mort certaine. Dociles à ces sages exhortations, la plupart se débandèrent. O’Brien n’avait plus autour de lui que quelques centaines d’énergumènes presque nus et désarmés lorsqu’il rencontra une troupe de soldats de police. Ceux-ci, n’étant pas de force à résister en rase campagne, se réfugièrent dans la ferme de Ballingarry, dont les bâtimens étaient presque inexpugnables pour des adversaires dépourvus d’artillerie. Les insurgés n’avaient qu’une ressource : entasser des matières combustibles contre la porte et y mettre le feu. Cette ferme appartenait à une veuve qui l’habitait avec ses cinq enfans. O’Brien se sentit pris de pitié pour ces innocens ; il commanda la retraite, laissant sur le terrain quantité de morts et de blessés. Ses compagnons virent bien qu’il n’y avait plus rien à attendre d’un chef si pusillanime. Tous se dispersèrent dans les montagnes. L’insurrection s’éteignit sans plus de résistance. Beaucoup réussirent à gagner la France ou l’Amérique. O’Brien, Meagher, Mac-Manus et O’Donohue, qui s’étaient laissé prendre, furent condamnés à la peine de mort, commuée presque aussitôt en déportation perpétuelle. On les envoya