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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/359

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de 1870 n’a parlé avec autant de conviction des étonnans effets qu’on pouvait attendre du feu grégeois ou de la pompe à pétrole. Le 7-19 mai 1812, il rend compte à l’empereur Alexandre des précautions qu’il a prises pour éviter que le merveilleux secret ne soit ébruité. Il a poussé la prudence jusqu’à faire venir des menuisiers et des forgerons de Saint-Pétersbourg, ne voulant mettre aucun ouvrier de Moscou dans la confidence ; il a déjà versé à Leppich 120,000 roubles pour achat de taffetas, de vitriol et de limaille de fer. Il ajoute : « Demain, sous couleur d’aller dîner chez quelque personne qui demeure de ce côté, j’irai chez Leppich et j’y resterai longtemps; je me fais d’avance une fête de nouer connaissance avec un homme dont l’invention rendra inutile l’art militaire, affranchira le genre humain de son infernal destructeur, fera de vous l’arbitre des rois et des empires et le bienfaiteur de l’humanité. » Un mois se passe : Rostoptchine est-il désabusé? Loin de là; dans une lettre à l’empereur, du 11-23 juin, il écrit : « J’ai vu Leppich; c’est un homme très capable et excellent mécanicien. Il a dissipé tous mes doutes au sujet des ressorts qui font mouvoir les ailes de cette machine, véritablement infernale, et qui, par la suite, pourrait faire encore plus de mal à l’humanité que Napoléon lui-même, si la construction n’en était pas si difficile... Il me vient un doute que je soumets au jugement de votre majesté : quand la machine sera prête, Leppich se dispose à s’embarquer sur elle pour aller jusqu’à Vilna. Peut-on se fier assez complètement à lui pour n’avoir à redouter aucune trahison de sa part? » Ainsi le comte Rostoptchine n’a que deux scrupules : l’un d’humanité et qui fait honneur à sa philanthropie, l’autre de prudence : il ne faut pas que cette redoutable machine, d’un effet si certain, soit mise par quelque trahison au service des Français. Trois semaines se passent encore; Rostoptchine persiste dans sa confiance. « Je suis pleinement assuré du succès, écrit-il, je me suis pris d’affection pour Leppich, qui m’est également fort attaché. Sa machine, je l’aime comme mon propre enfant. Leppich me propose de faire sur elle avec lui un voyage aérien ; je n’ai pu m’y résoudre sans une autorisation de votre majesté. » Non-seulement il croit au ballon de Leppich, mais il croit à toutes les inventions de ce fécond génie ; il croit à une barque insubmersible qui naviguera sur l’eau ; il croit à une lance nouveau modèle, creuse à l’intérieur, beaucoup plus légère que les anciennes, et dont il conseille d’armer les régimens de Cosaques. Qu’il se soit engoué avec tout Moscou du ballon de Leppich, quoi d’étonnant? Il n’était pas un homme de science. L’aérostation militaire avait eu de brillans débuts à la bataille de Jemmapes. Dans le grand projet d’expédition contre les Indes, Paul Ier recommandait à