qu’un acteur obscur. Sans doute, il y avait des momens où il se redressait, et apprenant qu’on avait saccagé Beauregard, qu’on avait brisé ses armoiries, il pouvait dire avec fierté qu’on ne lui ravirait pas la noblesse du cœur; mais ces mouvemens, qui sont une partie de son originalité, ne l’empêchaient pas de voir clair. Il ne se payait pas de banalités, de fausses espérances, de calculs puérils. Il sentait qu’il s’agissait d’une crise universelle et profonde à laquelle les petites combinaisons ne pouvaient rien. Il démêlait surtout avec une singulière pénétration ce qui faisait la force à peu près invincible de la révolution française, dût-elle même avoir ses défaites ou ses éclipses momentanées. Il le disait un jour. « On croit qu’en France le monstre révolutionnaire est agonisant. C’est possible; mais il ressuscitera chaque fois qu’il sera menacé d’une agression étrangère. Il n’y aura plus alors de jacobins, de constitutionnels, de modérés, de terroristes, tout cela sera Français. On ne sentira plus ni famine, ni misère, on ne sentira que le fanatisme et l’orgueil national. » Et lorsque, faisant un retour sur lui-même et sur les siens, il se demandait quelle vie nouvelle leur serait faite, il ne se dissimulait pas que tout était changé désormais, que, si on voulait la considération, il faudrait l’acquérir. Il donnait parfois à sa pensée une forme impétueuse et vive comme il pouvait le faire en plein combat. Il recommandait à sa femme de déshabituer les enfans du métier de seigneur. « Il vaut mieux à jamais, disait-il, être Laridon que César. Otez-leur jusqu’au souvenir, c’est un vice originel dont il faut les guérir, car on s’acharnera à leur ravir cela comme aujourd’hui on nous ravit la tête. Croyez bien que tout est fini de nous. Si les Titans avaient été grisés de sophismes, et si on les avait menés au combat en chantant la Marseillaise, ils auraient déniché pour toujours Jupiter de son Olympe. « Celui qui parlait ainsi pouvait ne point aimer la révolution, il pouvait la combattre à main armée; il ne s’abusait pas sur les émigrés et leurs alliés, sur ce que l’on pourrait appeler la politique de la contre-révolution, et il avait moins d’illusion encore sur les opérations militaires, sur ceux qui les conduisaient.
Volontaire par dévoûment et par honneur, mêlé aux opérations avec une position mal définie, mais avec l’autorité croissante de l’instruction et du caractère, ballotté par les hasards de la guerre d’Aoste et du Petit-Saint-Bernard aux Alpes de Nice, militaire sérieux à l’humeur indépendante, il pouvait tout voir et tout juger. Le spectacle qu’il avait sous les yeux le remplissait souvent d’amertume. Au fond, il réservait son estime, une estime réelle et profonde, pour les soldats, pour ces braves gens courageux et solides qu’il voyait tous les jours à l’œuvre, dont il partageait les dangers