mouvement. Eugène, évacué avec les autres blessés, devait être conduit à Turin, chez sa tante, la marquise de Faverges. Le père, né pouvant s’éloigner en pleine action, confiait son fils au vieux Comte, et du haut d’un rocher il suivait d’un regard chargé de deuil le douloureux cortège.
A Turin, la blessure ne semblait pas d’abord des plus graves. On ne perdait pas l’espoir, on comptait un peu sur les ressources de la jeunesse. Le vieux Comte sentait d’instinct le danger, et il écrivait au marquis ces mots touchans d’un serviteur fidèle : « J’ai veillé le petit depuis sa blessure comme vous me l’aviez ordonné. Il se tourmente de vous plus que de sa jambe ; tous ces tourmens lui brûlent les sangs, et le médecin voudrait que vous veniez. C’est impossible, mais entre vous et le petit mon cœur se fond, et je n’en ai plus pour avoir l’air gai que le médecin veut que j’aie... Cette maudite fièvre revient toujours... Si le bon Dieu m’avait planté cette balle dans la jambe, je serais bien plus gaillard. » Le mal, en effet, ne tardait pas à s’aggraver; on n’avait pu extraire la balle, la plaie s’envenimait, et peu après, le 21 mai, le jeune blessé était mort. Comte, qui était aussitôt expédié vers son maître et qui le rejoignait à Coni, n’avait qu’à paraître pour annoncer par sa seule présence la sinistre nouvelle. Henry Costa restait comme foudroyé avant même d’avoir interrogé le vieux serviteur. Il passait plusieurs jours dans un égarement morne et désespéré, comme un homme pour qui toute lumière vient de s’éteindre.
Le premier coup avait été pour le père, il y avait encore la mère qui était à Lausanne, recueillant déjà les bruits des combats qui se livraient dans les Alpes et ne sachant rien. Ce n’est qu’après les premiers jours que le marquis retrouvait la force d’écrire à sa femme : « Armez-vous de courage, mon amie, je recueille le mien pour vous dire que notre enfant a rendu entre les mains de Dieu son âme pure et vertueuse. Il a vécu seize ans sans reproches, et est mort en guerrier chrétien, objet de l’estime et de l’intérêt général... Je suis accablé, presque fou de douleur ; mais c’est sur moi, c’est sur vous que je gémis. J’ai prié Maistre de vous assister, il vous amènera sa femme... Pour moi je suis bien seul, les doléances auxquelles je suis soumis me font mal, et je ne trouve qui me comprenne que mon pauvre Comte. Son cœur en fait l’ami qu’il me faut... » C’est Joseph de Maistre, en effet, qui avait la cruelle mission de préparer Mme de Costa à la terrible crise des mères, de la soutenir, et il remplissait sa mission avec autant de délicatesse que de dévoûment. La malheureuse femme avait besoin de l’appui d’une telle amitié dans sa solitude. Elle avait toutes les exaltations et les touchantes révoltes de la douleur, son imagination voyait partout des fantômes. « J’ai cru être malheureuse, écrivait-elle à son mari, lorsque je vous ai