Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inégale et sommaire. Aux premiers mots des plénipotentiaires sardes, Bonaparte répondait brusquement en demandant si les conditions qu’il avait offertes étaient acceptées par le roi, et aux plaintes qu’on élevait sur la dureté de ces conditions, il opposait une résolution inflexible; il prétendait être resté modéré en n’ajoutant rien à ce qu’il avait imposé d’abord. Vainement les plénipotentiaires piémontais essayaient de lui démontrer l’inutilité de certaines concessions sur l’occupation de Coni ou le passage du Pô à Valence : il répliquait d’un ton un peu sarcastique que la république, en lui confiant une armée, lui avait supposé assez de discernement pour savoir ce qu’il avait à faire sans avoir à prendre conseil de ses ennemis. Il commençait à s’impatienter, et, tirant sa montre, voyant qu’il était déjà une heure du matin, il disait tout à coup aux commissaires sardes : « Messieurs, je vous préviens qu’une attaque générale est ordonnée pour deux heures, et que, si je n’ai pas la certitude que Coni sera remis dans mes mains avant la fin du jour, cette attaque ne sera pas différée d’un moment... Il pourra m’arriver de perdre des batailles, on ne me verra jamais perdre des minutes par confiance ou par paresse. » Dès lors il n’y avait plus qu’à se soumettre et à écrire ces conditions cruelles qui décidaient du sort du Piémont, qu’on ne pouvait ni décliner ni adoucir.

L’armistice une fois arrêté, les rapports se détendaient un peu. Jusque-là, Berthier avait été seul présent à l’entrevue. Bientôt entraient d’autres officiers, Murat, Marmont, le général Despinoy. On servit un repas composé des mets les plus simples où, à côté du pain de munition, figurait une pyramide de gimblettes offertes au vainqueur par les religieuses de Cherasco. Pendant ce temps, la conversation s’animait. Bonaparte, sortant de sa réserve, se laissait aller à parler de la campagne qui venait de s’ouvrir et qui avait déjà de si foudroyans résultats. Il rendait toute justice aux soldats piémontais et à quelques-uns des mouvemens de leurs chefs qui deux fois, disait-il, « s’étaient tirés fort adroitement de ses griffes. » Il croyait avoir dissous la coalition en Italie, et il ajoutait : « M. de Beaulieu ne peut plus m’arrêter jusque sous les murs de Mantoue; il doit s’attendre à avoir toujours dans les flancs mon armée victorieuse. » Il avait des vues perçantes, des saillies souvent pleines de force plutôt qu’une conversation suivie sur toute chose, sur la guerre, sur la politique, sur la position faite au Piémont par les événemens et par la révolution, sur les hommes, sur la cour de Turin. Comme on parlait de l’âge des généraux, de son âge à lui, il faisait remarquer qu’il avait vingt-sept ans et qu’il n’était pas le plus jeune commandant en chef de la république. « Il est presque indispensable d’être jeune pour commander une armée, disait-il. Il faut