que les premiers à ces études du nu que Gleyre affectionnait particulièrement et où il voyait la plus grande difficulté et le plus sérieux triomphe de la peinture.
Ces leçons de la renaissance, quoique docilement observées, ne donnèrent cependant naissance à aucun de ces types de beauté abstraite et conventionnelle qui se rencontrent fréquemment dans les écoles de décadence, et qu’on peut rapporter à l’idéal par une perversion du sens de ce mot, car ils n’existent en effet qu’en idée et ne rappellent aucune ressemblance. Si chez Gleyre les formes sont anciennes, les expressions en revanche sont toutes modernes, et c’est là peut-être ce que l’on entend lorsqu’on parle de son naturalisme. Personne n’a fait une plus ingénieuse et plus heureuse application du vers célèbre d’André Chénier :
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.
Il en résulte bien parfois une légère hallucination chez le contemplateur, car il arrive souvent que les corps paraissent d’un autre
siècle que les visages, mais cette hallucination est toute charmante,
puisqu’elle ne suscite que les plus gracieux spectres, et nous ne
pouvons qu’admirer la finesse psychologique avec laquelle l’artiste,
par un air de tête, par un sourire, par un regard, a su rapprocher
de nous ces antiques sujets de manière à en faire les transparens
de notre vie moderne. Que le fin sourire de cette Omphale trahit de
despotisme savant ! comme l’ironie est intérieure et que le secret
de cette âme reste bien caché ! Est-ce bien l’exigeante reine d’Asie,
ou n’est-ce pas plutôt une belle dame moderne, d’un dilettantisme
accompli en matière amoureuse, qui sait que l’esclavage de l’homme
est mieux assuré par les manœuvres silencieuses que par les paroles
impérieuses? Voici Daphnis et Chloé revenant de la montagne ou
passant le ruisseau. Ce sont bien eux, en vérité, et l’artiste a ressuscité avec une grâce exquise les héros de la pastorale de Longus ;
serait-il bien impossible cependant de transporter l’un au moins de
ces deux personnages dans un autre âge et une autre civilisation,
et Chloé ne pourrait-elle sans trop grandes modifications représenter
le personnage de Virginie à l’éclosion de la puberté? Cette Diane
aux yeux limpides comme les sources et au visage froid comme la
chasteté ne vous donne-t-elle pas l’impression de quelque charmante Anglaise, et ne semble-t-elle pas sortir de quelque keepsake
-sans mièvrerie ni grâce compassée? Qu’est-ce que la délicieuse
Vierge avec les deux enfans, sinon une dame de nos jours peinte
avec le souvenir et la préoccupation de Raphaël et du Corrège ?
Cette mère de l’Enfant prodigue au visage blêmi par le chagrin,
qui s’est levée à l’approche du fils à qui elle doit sa vieillesse prématurée