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d’exemption ; à cette condition seule on le rendra très léger et très productif, il ne troublera la situation de personne. Avec la grande division des fortunes qui existe aujourd’hui en France, si on en exemptait seulement les revenus inférieurs à 1,200 francs, on mettrait les deux tiers du revenu général en dehors de l’impôt, on atteindrait tout au plus 6 ou 7 milliards sur 20, et pour réaliser 150 millions il faudrait demander 2 ½ pour 100 environ. Ce serait évidemment trop, surtout si on veut laisser subsister les autres taxes directes avec lesquelles celle-ci fait double emploi. Mais, nous devons le reconnaître, la pratique générale est opposée ; on considère cet impôt comme une taxe de luxe et on le fait peser particulièrement sur les riches. En Angleterre, les revenus au-dessous de 2,500 francs en sont affranchis et en Prusse ceux au-dessous de 3,760 francs On croît faire ainsi une chose juste, tous les citoyens devant également l’impôt, à exonérer les uns et à charger d’autant plus les autres ; et quant à favoriser les intérêts économiques, un exemple prouvera le contraire : on prélève en Angleterre par l’income-tax 150 millions par an sur les revenus supérieurs à 2,500 francs, qu’auraient fait de cette somme ceux qui la possédaient si on la leur eût laissée ? Ils l’auraient employée d’une façon quelconque, dépensée pour leurs besoins, ou économisée et prêtée à d’autres qui l’auraient utilisée ; la conséquence dans l’un et l’autre cas eût été une augmentation de travail et de production, se traduisant par un accroissement de salaires et de bénéfices. Mais, dira-t-on, si on demande ces 150 millions directement aux riches, on n’aura pas à les exiger des pauvres, ceux-ci les consacreront également à augmenter le travail et la production, et le résultat sera le même. Cela est ainsi en apparence, mais on en réalité. Les 150 millions que l’on prend sur les revenus supérieurs à 2,500 francs sont plus ou moins nécessaires à la production, ils augmentent le stock des ressources disponibles avec lesquelles elle s’alimente, et le taux de l’intérêt se règle en conséquence. Il en est autrement de la même somme demandée aux taxes de consommation, elle ne sort plus du fonds de réserve destiné à la production, elle est prise lorsque cette production a eu lieu et qu’elle se répand déjà entre les mains des consommateurs, c’est-à-dire lorsqu’elle arrive à destination. C’est comme de l’eau qu’on va chercher à la source ou à l’embouchure d’un fleuve. Dans le premier cas, on risque de la tarir en en prenant très peu, et dans le deuxième, on peut en prendre beaucoup sans qu’on s’en aperçoive.

Il n’y aurait donc pas d’immunités à accorder, excepté aux personnes indigentes et à celles qui sont dans un état voisin de cette