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LE ROMAN CLASSIQUE
EN ANGLETERRE

JANE AUSTEN

The Works of Jane Austen, with a memoir by her nephew, J.-E. Austen Leigh.
London, 1872-1877. Bentley.

Un étranger qui visitait la cathédrale de Winchester demandait un jour qu’on lui montrât la tombe de miss Austen. « Monsieur, répondit le bedeau en lui désignant du doigt la plaque de marbre noir sous laquelle repose l’auteur de Mansfield Park, pourriez-vous me dire ce que cette dame avait de remarquable ? Tout le monde maintenant veut savoir où elle est enterrée. » Cette question, assez naturelle d’ailleurs dans la bouche de celui qui la faisait, aurait, il y a quelques années, embarrassé plus d’une personne. La justice littéraire, qui ressemble aussi à la divinité boiteuse dont parle le poète, est venue tard pour Jane Austen, et peu de réputations ont été plus lentes que la sienne à mûrir. Bien des gens ignoraient encore le nom de l’aimable écrivain lorsqu’en 1843 Macaulay, grand lecteur de romans, comme on sait, ne craignit pas, dans son essai sur Mme d’Arblay, de déclarer que parmi ceux qui s’étaient approchés de Shakspeare il fallait mettre « l’étonnante créature » à laquelle, sur la fin de sa vie, il devait accorder un hommage plus éclatant encore, en se plaignant de ne pouvoir, faute de matériaux, tracer son portrait. Depuis lors, et bien que personne ne se soit rencontré pour mener à bien une entreprise que rendait redoutable ce regret du maître essayiste, Jane Austen a pas à pas conquis sa place dans l’estime des esprits d’élite, qui finissent presque toujours en définitive par guider l’opinion publique, et cette place est belle. La fille du pasteur de Steventon, inconnue pour ainsi dire pendant les quarante ans qu’elle a passés sur cette terre, n’a rien