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ne peut pas dire que l’œuvre diplomatique récemment élaborée à Berlin soit d’une exécution aisée. La paix générale a été maintenue sans doute par l’esprit de conciliation des gouvernemens, surtout peut-être par la volonté puissante qui a conduit ces délibérations, et c’est beaucoup. Le traité de Berlin lui-même, avant de devenir une réalité complète, semble destiné à traverser un certain nombre de phases laborieuses. Non certes, tout ce système de démembremens partiels, de protectorats plus au moins déguisés et d’occupations appliqué à l’empire ottoman, ce système n’est pas d’une exécution facile, La plus grosse difficulté n’est point dans cette question de frontières qui divise la Turquie et la Grèce ; l’autorité morale de l’Europe suffira sans doute pour trancher le différend en donnant une suffisante satisfaction à la nation hellénique. La vraie et sérieuse difficulté pour le moment est dans la résistance que quelques-unes des combinaisons du traité de Berlin rencontrent sur le terrain même, dans les populations. On vient de le voir par ce qui s’est passé tout récemment en Albanie. La Porte avait envoyé en pacificateur Méhémet-Ali-Pacha, celui qui a commandé pendant la guerre en Bulgarie et qui a été l’un des plénipotentiaires turcs au congrès de Berlin : Méhémet-Ali, avant d’avoir pu remplir sa mission, a été assassiné par les Albanais qui ont formé une sorte de ligue de résistance armée, qui n’acceptent pas la cession d’une partie de leur pays. Que va faire maintenant la Porte ? Elle a été assez imprudente en envoyant Méhémet-Ali sans lui donner des forces militaires qui l’auraient aidé à remplir son mandat, qui auraient pu tout au moins en imposer au fanatisme local : la voilà maintenant obligée d’envoyer un corps d’armée pour relever son autorité méconnue, pour réduire les Albanais, pour procéder de vive force à l’exécution de cette partie du traité de Berlin qui la dépouille des territoires de l’Albanie. La Porte a vraiment beaucoup à faire pour se tirer de tous les embarras dont la paix de Berlin lui laisse l’onéreux héritage.

L’Autriche, de son côté, n’avance que bien lentement dans son occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine. Ses divisions successivement engagées rencontrent chaque jour les plus sérieux obstacles dans ces régions où toutes les communications sont difficiles, où l’insurrection est partout. Elles ont à livrer d’incessans combats dans leurs marches pénibles, et il en est même qui ont éprouvé de véritables échecs, qui ont été obligées de rétrograder. Évidemment l’Autriche n’avait pas prévu cette résistance, au moins une résistance aussi fortement organisée et aussi acharnée. Elle s’est trouvée un peu surprise, et aujourd’hui elle est en face d’une sorte de mouvement national dont elle ne pourra avoir raison qu’en déployant les plus sérieux efforts militaires. Son armée y suffira, ce n’est pas une question, elle suffira aux com-