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laborieux de la recherche, mais toujours brûlant au dedans. Chaque grand inventeur jette à son tour le cri d’Archimède, l’eurêka triomphant; mais ce cri n’est pour lui que l’expression rapide et spontanée de l’esprit qui se sent victorieux de l’obstacle et qui va courir à un autre obstacle déjà entrevu. Ce cri ne marque pas seulement une étape franchie, une arrivée triomphante à un but; il porte le pressentiment de nouvelles luttes contre l’inconnu. C’est ce que cet illustre et cher Claude Bernard aimait à nous répéter dans des entretiens intimes : « Pour le vrai savant, nous disait-il, la joie de la découverte est profonde et pure, mais elle est courte. Chaque loi trouvée n’est pour lui que l’occasion d’une nouvelle recherche à faire; il n’a jamais accompli son œuvre, il ne peut même en jouir longtemps : à chaque pas qu’il fait dans l’inconnu, un nouvel horizon s’ouvre plus vaste et plus lointain. Il n’a pas le droit de se reposer dans sa conquête, elle n’est qu’un point de départ; chaque résultat acquis n’est à certains égards qu’un commencement. » C’est cette même pensée qui fait la beauté philosophique et l’éloquence singulière du dernier chapitre de son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Nul n’est digne du nom de savant s’il ne sent ce qu’il y a d’inachevé dans son œuvre. Et en cela le savant ressemble à l’artiste; il n’y a de grand artiste que celui qui cherche toujours au-delà. La science et l’art ont également un objet infini.

Qu’y a-t-il de plus propre à remuer l’âme d’un poète, à exciter son imagination, à le tirer hors des réalités plates et vulgaires, que la contemplation raisonnée du cosmos à travers les écrits? ou les entretiens des savans, l’idée toujours grandissante de l’univers qui va de plus en plus s’étendant, à mesure que les instrumens d’observation deviennent plus forts ou plus délicats et que l’expérience, aidée du calcul, recule dans tous les sens les bornes de l’espace ou de la vie? Aujourd’hui le monde des infiniment grands et des infiniment petits est également ouvert à la pensée : le double infini pressenti par Pascal est scientifiquement découvert, exploré, partiellement conquis. Partout se découvrent aux yeux de l’esprit des perspectives sans limite dans l’espace et dans le temps; la science montre à l’homme que ses conceptions les plus hautes et les plus profondes sont inférieures à la réalité : elle semble, dans son progrès continu, être devenue le commentaire vivant de cette pensée du grand géomètre qui est aussi parmi les plus grands des philosophes et des poètes : « L’imagination se lassera plus tôt de concevoir que la nature de fournir. » En même temps que se dévoile devant notre pensée la grandeur illimitée de la création, le sentiment de l’harmonie universelle, de la solidarité des êtres, de la connexion