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des phénomènes, se révèle de plus en plus clairement aux esprits attentifs que l’esprit de système n’a pas troublés. Est-il besoin de citer des exemples, la loi d’équivalence et de transformation des forces, l’homogénéité de la matière cosmique révélée par l’analyse spectrale? Chaque loi nouvelle devient ainsi un élément plus précis et plus délicat de l’ordre. Chaque découverte est comme une révélation inattendue de l’unité, poursuivie à travers la variété et même la contradiction apparente des phénomènes; les lois nous paraissent être les élémens indestructibles de la trame divine des choses. N’y a-t-il pas là pour la poésie une matière inépuisable? Et, sans qu’elle prétende imposer aux formules une langue rebelle, ne peut-elle s’inspirer de la grandeur et de l’harmonie du vrai cosmos entrevu à travers les travaux des savans, de ce spectacle réel mille fois plus grand que toutes les fictions et plus beau que toutes les mythologies?

Que dire encore, à ce point de vue du rajeunissement possible de la poésie, des ressources sans nombre que lui offrent les applications de la science et ces découvertes qui transforment si prodigieusement autour de nous les conditions de l’existence humaine et de la vie sociale ? La conquête des forces de la nature livrées comme des esclaves obéissantes à l’industrie, allégeant le rude travail des hommes en le multipliant dans des proportions inouïes, ces inventions sans nombre qui augmentent la puissance et l’intensité de la vie, si elles n’ont pu encore en accroître la durée; la vapeur transportant les produits, les idées et les hommes d’un monde aux extrémités d’un autre monde à travers les mers et les montagnes, victorieuse dans une certaine mesure des puissances hostiles, de l’attraction et de l’espace; de simples fils de fer jetés sur la surface du globe et l’enveloppant comme dans un réseau nerveux le long duquel court la pensée, la terre revêtue par l’homme d’organes véritables, investie de pouvoirs nouveaux qui dormaient jusqu’alors dans son sein à l’état de forces perdues, devenant ainsi comme un vaste organisme au service de l’humanité, toutes les conséquences morales qui en découlent, le rapprochement des races, la création d’une conscience collective de l’espèce humaine; l’avenir mille fois plus riche encore que le présent et réduisant de plus en plus le domaine de l’impossible, il y a là des trésors inépuisables pour l’imagination : le danger est qu’elle en soit accablée.

Enfin, — et c’est là peut-être la source la plus féconde, — sous l’action de certaines théories scientifiques, il se produit une agitation prodigieuse d’idées, un conflit dramatique des consciences qui semble s’accroître tous les jours. C’est là un moment psychologique de l’humanité, particulièrement propice à la grande inspiration, tout ce qui