Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transcendante? Rien ne nous le fait supposer, tout nous fait croire le contraire. L’universalité des lois, qui est depuis longtemps un axiome, l’identité de la matière cosmique, qui en devient un autre, nous empêchent de concevoir qu’il y ait des mondes organisés plus moralement que le nôtre :

Le ciel s’évanouit quand la raison se lève,
Et toute sa splendeur a moins d’être qu’un rêve.


Donc, pas de paradis dans ces étoiles dont la substance est en tout semblable à celle qui compose notre pauvre globe ; pas même de ciel idéal à conquérir sur cette terre par la perfection morale : cette perfection n’est qu’une autre illusion; elle est impossible, car le fatalisme qui règne au plus profond des firmamens doit régner aussi dans mon cœur; ainsi le veut l’universalité des lois qui régissent le monde. — Ici nous devons citer quelques vers d’une habileté rare, malgré quelques obscurités, dans lesquels l’ingénieux et subtil auteur a réussi à enfermer tout le problème du libre arbitre :

Seul le plus fort motif peut enfin prévaloir;
Fatalement conçu pendant qu’on délibère,
Fatalement vainqueur, c’est lui qui seul opère
La fatale option qu’on appelle un vouloir.

En somme se résoudre aboutit à savoir
Quelle secrète chaîne on suivra la dernière;
Toute l’indépendance expire à la lumière
Puisqu’on saisit l’anneau sitôt qu’on l’a pu voir.

Tout ce qu’un être veut, son propre fond l’ordonne ;
Mais l’ordre irrésistible à son insu lui donne
Le sentiment flatteur qu’il est sollicité.

Ainsi la liberté, vaine horreur de tutelle.
N’est que l’essence aimant le dernier joug né d’elle.
L’illusion du choix dans la nécessité.


Cependant le Chercheur ne parvient pas à lever un dernier doute, un dernier scrupule. Le cœur ne se laisse pas immoler jusqu’au bout, son autorité se révèle par le sentiment indestructible de la responsabilité devant le crime. La science positive a beau dire et beau faire; en vain elle nous dit que l’homme n’est qu’une pièce infiniment petite, perdue et entraînée dans le jeu du mécanisme universel; l’homme, spectateur de la vie, la juge; témoin de l’inégale répartition des biens et d’es maux, il s’en indigne; témoin de sa propre vie, il se condamne quand il fait mal ; il ne peut s’empêcher de juger et la nature et lui-même. C’est sans doute que la justice, bannie du