Il lui fallait la terre et ses milliers d’épreuves,
D’ébauches de climats, d’essais de formes neuves,
D’élans précoces expiés,
D’avortons immolés aux rois de chaque espèce,
Pour que de race en race, achevé pièce à pièce,
Il vît l’azur, droit sur ses pieds.
Il fallait, pour tirer ce prodige de l’ombre
Et le mettre debout, des esclaves sans nombre,
Au travail mourant à foison,
Comme en Égypte un peuple expirait sous les câbles,
Pour traîner l’obélisque à travers monts et sables
Et le dresser sur l’horizon.
Et comme ce granit, épave de tant d’âges.
Levé par tant de bras et tant d’échafaudages,
Étonnement des derniers nés.
Semble aspirer au but que leur montre son geste,
Et par son attitude altière leur atteste
L’effort colossal des aînés:
L’homme, en levant un front que le soleil éclaire,
Rend par là témoignage au labeur séculaire
Des races qu’il prime aujourd’hui;
Et son globe natal ne peut lui faire honte,
Car la terre en ses flancs couve l’âme qui monte
Et vient s’épanouir en lui.
Voilà donc l’âme retrouvée ay terme de cette longue odyssée à travers les sommets et les abimes de la science, une âme fille de la Terre, dernier terme et dernier effort d’un long enfantement. Avec elle naissent la responsabilité humaine, le progrès moral, la cité idéale gouvernée par la science et par l’amour. Tout cela est l’œuvre de l’âme se sentant elle-même, prenant conscience de sa liberté, un monde où viennent expirer les lois qui régissent le reste de l’univers :
Espace intérieur, inviolable empire
Qu’un refus du vouloir barre même au Destin.
Telle est la conclusion adoucie et plus humaine du poème. — On a pu se rendre compte, par l’analyse que nous en avons faite et par les citations que nous y avons semées, de la hardiesse du plan, de la nouveauté des sujets, empruntés pour la plus grande part aux plus récentes théories de la science positive, de la vigueur et de l’éclat de l’expression. On voit que le poète s’est mis tout entier dans son œuvre avec son goût pour les grands problèmes, sa haute culture scientifique, avec tout son talent et aussi son entière sincérité. Pourquoi donc, malgré tant d’efforts et de mérites, le succès est-il resté douteux? Pourquoi nous-mêmes, malgré de vives sympathies pour l’auteur, demeurons-nous hésitans et froids devant