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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/539

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son œuvre? C’est le devoir de la critique de faire l’examen de conscience du public, le nôtre et celui du poète, et de chercher les raisons de cette hésitation ou de cette froideur qui semblent injustes. — Il ne servirait de rien d’accuser le public, son incompétence, sa frivolité, son peu de goût pour les matières abstraites, son visible ennui « dès que le sujet traité cesse d’être aisément accessible aux esprits de moyenne culture. » Le public même incompétent se laisse volontiers émouvoir, persuader par l’opinion de l’élite; il s’associe à l’enthousiasme des connaisseurs; il ne comprend pas toujours, mais avec un instinct qui ne se trompe guère et qui ne demande qu’à être averti, il conçoit, il sent qu’il y a ici ou là une œuvre irrésistible, entraînante; de confiance il applaudit, et il devient l’ouvrier d’un succès, même quand il n’en connaît pas bien les hautes et délicates raisons. Il faut chercher ailleurs les motifs de cette résistance, ceux que les meilleurs amis du poète doivent lui indiquer pour l’aider à la vaincre une autre fois, bien convaincus d’ailleurs que le poète ne sort pas diminué de cette difficile épreuve, qu’il en doit sortir au contraire fortifié, mais en même temps éclairé sur les conditions, la puissance et les limites de son art.

Une des plus graves erreurs du poète, à mon avis, c’est le choix qu’il a fait de rythmes trop savans, trop particuliers, trop limités. Sans doute il nous a donné la preuve éclatante qu’il excelle à se jouer des plus grandes difficultés de la versification. Mais qui lui en saura gré, à part quelques parnassiens exaltés? Ne lui est-il pas arrivé souvent de laisser la précision ou la clarté de l’idée en gage dans ce jeu périlleux, et de faire de sa pensée l’otage du vers, qui devrait être l’esclave et qui devient le maître? Plus les sujets étaient difficiles, plus il convenait que le poète gardât toute sa liberté pour les exprimer. Au contraire, comme pour redoubler le mérite de la difficulté vaincue, il s’est enfermé dans les bornes les plus étroites, dans une sorte de prison cellulaire. Le croirait-on? au lieu d’adopter le grand vers de haut vol et de libre allure, seul capable de suivre dans son essor l’idée philosophique, comme s’il était amoureux de l’obstacle, il a adopté, dans la plus grande partie de son poème, la forme du sonnet. Encore si ce n’était que le sonnet! Mais l’auteur a voulu compliquer la difficulté, comme si elle n’était pas déjà suffisante : le sonnet explique la pensée du Chercheur, et contraste avec les appels de la Voix, qui tiennent exactement dans trois strophes de quatre vers. Le sonnet et la triple strophe sont liés ensemble par une demande et une réponse de deux vers chacune, pas un de moins, pas un de plus. Cela est d’une habileté très grande, mais d’une monotonie facile à prévoir. Quelle