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mon intention est toujours de faire pour le mieux, cela fait que je ne me suis jamais repenti de mes actions passées, je ne prévois pas même un repentir de mes actions futures. Il y a longtemps que je suis prédestiné à l’impénitence finale. »

L’intervention du duc de Nivernais exerça pourtant quelque influence, et on résolut de répondre à d’Éon sans trop de colère, en lui faisant même entrevoir un accommodement. Ce fut Guerchy qui, désirant encore bien vivre avec un secrétaire de mérite, dont il espérait tirer parti, essaya de lui faire prendre patience. Malheureusement (comme Praslin l’avait bien reconnu), Guerchy ne savait pas du tout écrire, et les termes dont il se servit gâtèrent singulièrement le fond de sa démarche. « M. de Nivernais, disait-il, m’a écrit relativement au caractère que le hasard vous avait fait donner. Nous avons, lui et moi, traité cette matière avec M. de Praslin, et j’ai lieu de croire que cela s’arrangera comme vous le souhaitez. »

Ce mot de hasard, appliqué à un avancement qu’il croyait mérité, fit bondir le chevalier, qui répondit au courant de la plume : « Monsieur, je prendrai la liberté de vous faire observer, au sujet du caractère que le hasard m’a fait donner, que Salomon a dit, il y a bien longtemps, qu’ici-bas tout était hasard, cas fortuit, bonheur et malheur, et je suis plus persuadé que jamais que Salomon était un grand clerc. J’ajouterai modestement que le hasard qui ferait donner le titre de ministre plénipotentiaire à un homme qui a négocié si heureusement n’est peut-être pas un des plus aveugles de ce monde, et ce qui m’arrive par hasard peut arriver à un autre par bonne aventure. » Il ne relevait pas avec moins de vivacité quelques reproches plaintifs que Guerchy lui faisait sur l’excès de sa dépense. « Vous n’étiez pas obligé, lui avait dit Guerchy, de tenir un état quelconque, et si on l’avait désiré, on aurait pris d’autres arrangemens qui n’auraient pas été à mes dépens. » D’Éon répondait insolemment : «Un ministre sans état est un être qui n’exista jamais... J’ai dû prendre un état, comme les corps prennent une position en raison de leur gravitation respective. » Guerchy s’était plaint du nombre des domestiques qui étaient entretenus à ses frais, et des gratifications trop larges distribuées dans certaines cérémonies, D’Éon, en relevant ce nouveau grief, passait véritablement toutes les bornes de l’impertinence. « Un homme, lui disait-il, ne peut se mesurer même dans l’opinion que par un ou plusieurs autres. Il y a même plusieurs proverbes qui serviraient à prouver la vérité de ceci; on dit communément : il est bête comme mille hommes, il est méchant comme quatre, il est ladre comme dix. C’est la seule échelle dont on puisse se servir, excepté dans certains cas, où les hommes se mesurent par les femmes... Il faudrait, dès lors, trouver la proportion