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déjà dit, on reprochait, au gouvernement les conditions trop faciles que la paix de l’année précédente avait faites à la France, et l’on accusait couramment le signataire de cette paix, le favori du roi, lord Bute, d’avoir cédé à des séductions illicites pour trahir l’intérêt national. Lord Bute avait même dû quitter les affaires sous le poids de cette imputation injurieuse. Mais ses successeurs, Granville, Halifax, le duc de Bedford, pris dans les mêmes rangs politiques que lui, et trop peu capables pour le faire oublier, passaient pour lui garder sa place et, en attendant, pour se conduire par ses inspirations. Il y avait donc tout intérêt à faire ou à feindre d’avoir fait sur un sujet qui mettait si fort en jeu le chatouilleux orgueil britannique une découverte importante. Un agent français qui avait pris à la paix une part considérable et qui se trouvait en guerre ouverte avec ses chefs pouvait avoir des révélations utiles à faire, ou inventer des mensonges utiles à accréditer ; c’était un homme à ménager.

Un autre grief de l’opposition était le procès de presse, de libel, comme dit la loi anglaise, intenté au célèbre tribun Wilkes, pour une attaque violente contre la personne royale. Ce procès fameux avait mis à la mode, dans tous les cercles politiques, des discussions sur l’état de la législation de la presse. Les lois anglaises de cette époque étant sur ce point comme sur beaucoup d’autres dans un grand état de confusion, chacun interprétait les textes à sa guise et l’opinion populaire les exploitait naturellement dans le sens le plus libéral. Au milieu de débats de cette nature, un nouveau procès de presse, qui soulevait des questions d’une nature délicate, fournissait un aliment de plus à l’excitation générale. A la vérité, le cas de d’Éon ne ressemblait nullement à celui de Wilkes. Wilkes était député et prétendait qu’on violait en sa personne le privilège parlementaire; d’Éon était étranger, et l’on soutint en sa faveur que la loi qui punissait les diffamateurs n’atteignait que les sujets anglais. Les deux situations n’avaient donc aucun rapport; mais quand les imaginations sont échauffées, on n’y regarde pas de si près et on a vu établir des analogies entre des faits qui se ressemblent moins encore. D’Éon allait devenir, comme Wilkes, un martyr de la liberté de la presse et, à ce titre, il devait être défendu comme lui par la faveur et souvent même par la violence populaires. Les gazettes retentirent de réclamations bruyantes contre l’atteinte qu’on voulait porter à la vieille réputation d’hospitalité de l’Angleterre, en poursuivant un étranger qui s’était fié à la protection de ses lois.

D’Éon se vit donc subitement l’objet des caresses de l’opposition, et il ne manquait pas de le faire savoir à Paris sur un ton assez