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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/578

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menaçant, dans une lettre adressée à Tercier, et qui, d’après sa date, dut se croiser en mer avec le porteur de paroles du comte de Broglie. « Les chefs de l’opposition, disait-il, m’ont offert tout l’argent que je voudrais, pourvu que je dépose chez eux mes papiers et mes dépêches bien fermés et cachetés, avec promesse de me les rendre dans le même état en rapportant l’argent. Je vous ouvre mon cœur, et vous sentez combien un pareil expédient répugne à mon caractère, et pourtant, si on m’abandonne, comment voulez-vous que je fasse?.. Je n’abandonnerai jamais le roi ni ma patrie le premier; mais si, par malheur, le roi et ma patrie jugent à propos de m’abandonner, je serai bien forcé, malgré moi, de les abandonner le dernier, et en le faisant, je me disculperai aux yeux de l’Europe, et rien ne me sera plus facile, comme vous devez bien sentir... Ce sacrifice sera dur pour moi, j’en conviens : il coûtera aussi bien cher à la France, et cette idée seule m’arrache des larmes... Déjà, ajoutait-il, tous les chefs de l’opposition envoient tous les jours chez moi pour savoir s’il ne m’est rien arrivé, et à la première entreprise qui serait faite contre moi, l’hôtel de l’ambassadeur et tout ce qui sera dedans sera mis en pièces par ce qu’on appelle ici le mob; les matelots et autres canailles de la Cité sont aux ordres de l’opposition ; vous sentez tous les malheurs qui sont sur le point d’arriver. » — Enfin, après avoir ainsi menacé de la guerre et de l’émeute, il donnait à ses correspondans jusqu’au 22 avril, jour de Pâques, comme dernier délai pour lui faire obtenir la réparation qu’il demandait, après quoi il ne répondait plus de rien et ne s’expliquait pas sur ce qu’il croirait devoir faire. « Je serai forcé, disait-il, de me laver totalement dans l’esprit du roi d’Angleterre, de son ministère, de la chambre des pairs et des communes, et il faut nous déterminer à une guerre des plus prochaines dont je ne serai certainement que l’auteur innocent, et cette guerre sera inévitable. Le roi d’Angleterre y sera contraint par le cri de la nation. »

Aussi, quand, deux jours avant la date fixée, il vit entrer chez lui de Nort (qu’il connaissait, l’ayant souvent rencontré chez le comte de Broglie), porteur d’une lettre du comte, très pressante, presque tendre, il crut que son ultimatum avait fait son effet et que le roi de France se rendait à merci. Sous l’influence de cette première impression et sans bien se donner la peine de lire jusqu’au bout les propositions du comte de Broglie, il adressa au roi une lettre pleine d’effusion, qu’il remit sur-le-champ au messager, et où la joie du triomphe respirait sous les apparences de la soumission. — « Je suis innocent, disait-il, et j’ai été condamné par vos ministres; mais dès que Votre Majesté le souhaite, je mets à ses