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Mis ainsi au pied du mur, le lieutenant de police s’exécuta en tremblant, et, en compagnie de Tercier, il passa au crible non-seulement les papiers saisis, mais aussi ceux qui furent trouvés chez Drouet, où les scellés avaient été apposés, et moyennant ce triage adroitement fait, tout le venin de la découverte fut enlevé. Après tout, le mal n’était pas si grand qu’on avait cru. Drouet avait écrit en son propre nom, et il n’avait pas écrit à d’Éon lui-même, mais à son cousin du Mouloize. Le comte de Broglie n’était pas nommé, le nom de Tercier seul apparaissait dans quelques endroits, et les mots énigmatiques de l’avocat et du substitut indiquaient un chiffre suspect. En faisant disparaître habilement ces passages, les documens ne présentèrent que l’acte assez inoffensif de deux serviteurs d’ordre inférieur, innocens tous deux, et correspondant pour engager un criminel à se soumettre aux ordres du roi.

Restait l’examen oral, où la moindre inadvertance pouvait tout perdre. Il fallut cette fois mettre encore un tiers de plus dans la confidence. Ce fut M. de Jumilhac, le gouverneur de la Bastille, qui, violant le secret judiciaire, consentit à mettre Tercier en communication avec les prisonniers; tout étant ainsi facilité, les rôles furent préparés et distribués d’avance. Il fut convenu que Drouet déclarerait avoir agi seul, spontanément, sans consulter personne, dans l’intérêt d’un ancien ami, et qu’Hugonnet soutiendrait aussi qu’il n’avait reçu de mission d’aucune autre personne que de ce secrétaire; en outre, que les protecteurs inconnus dont il était question dans les lettres étaient les amis de la famille de d’Éon, le marquis d’Osembray, le marquis de l’Hôpital, et enfin que M. de Sartine se prêterait à ces artifices et n’insisterait pas dans l’interrogatoire sur les points trop délicats.

« J’ai travaillé quinze heures de suite, écrivait le comte de Broglie au roi, le 25 janvier, à arranger des plans d’interrogatoire, de mémoire, de réponse à donner par le sieur Drouet, de dépositions à faire par Hugonnet, dont l’ensemble puisse cadrer avec ce qui a déjà été dit et vu, et j’ai fait une espèce d’instruction pour M. de Sartine. Le tout m’a été remis hier au soir. »

La pièce était trop bien préparée pour manquer à la représentation. Le duc de Praslin y assista aux premières loges, mais n’y comprit pas autre chose, excepté que les acteurs s’étaient entendus, sans qu’il sût comment, pour se jouer de lui. « Ces gens-là se moquent de moi, » dit-il en sortant avec humeur à M. de Sartine, et le lendemain il faisait au conseil un rapport dont le roi rendait compte à Tercier en ces termes : « M. de Praslin a rapporté dimanche l’affaire du sieur Drouet; il persiste toujours à croire qu’il n’a pas dit tout à fait la vérité, et cela est un peu vrai... il sera mis