hors de prison à la fin de cette semaine. Hugonnet y restera un peu plus, mais j’espère que voilà cette affaire finie. Tout s’est bien passé au conseil, et l’on ne s’y est douté de rien. » Par précaution cependant, Praslin garda le pauvre Hugonnet sous les verrous, et le roi, avec l’indifférence qui n’appartenait qu’à lui, ne s’informa pas de ce que devenait l’obscure victime de sa fantaisie. Quant à Drouet, il avait pris le bon moyen pour ne pas être oublié, car il avait, dès le premier jour, déclaré qu’il dirait tout si on ne s’arrangeait pas pour le mettre en liberté.
Chacun sentait au fond que ce n’était que partie remise : aussi, plus l’alarme avait été chaude, plus le comte de Broglie se montra pressé de prévenir à tout prix le retour inévitable de pareilles complications. Non-seulement il offrit encore au roi de partir sur-le-champ lui-même pour retirer des mains de d’Éon le fatal document autographe, mais il y joignit l’offre plus étrange encore d’hypothéquer sur ses propres biens la promesse, qui serait faite en échange, d’une pension annuelle de 12,000 francs. On se refuse presque à croire (et pourtant le fait est certain) que le monarque eut le triste courage d’accepter une telle proposition, et de laisser sans rougir un de ses sujets engager sa propriété à un autre en nantissement de la parole royale.
Ce n’est pas tout : le marché fut communiqué à d’Éon, qui ne manqua pas de l’accepter en principe, sauf à en discuter les clauses. En particulier, acceptant le gage offert par le comte, il insista pour que l’hypothèque fût étendue aux biens de la comtesse, qui étaient beaucoup plus considérables que ceux de son mari. Louis XV enfin n’eut pas même le courage de donner suite à l’affaire. L’embarras de motiver aux yeux de ses ministres le départ d’un personnage aussi important et aussi suspect que le comte de Broglie le fit ajourner de semaine en semaine, et on atteignit ainsi le jour où le grand jury d’accusation, réuni à Old-Bailey, devait se prononcer sur le fait odieux, ridiculement imputé à l’ambassadeur de France.
On ne comprend guère aujourd’hui, et dès lors on ne comprenait guère en Europe, que l’accusation pût même être admise à l’honneur d’un examen. Mais, en matière juridique, les choses ne se passaient pas en Angleterre comme ailleurs, et, à Londres même, la jurisprudence n’était pas encore fixée comme aujourd’hui. On peut lire dans l’érudit commentateur des lois anglaises, Black stone, une dissertation en règle sur la nature et l’étendue des privilèges diplomatiques en matière criminelle. On y voit que, de son temps même, on discutait le point de savoir si cette immunité était absolue. De bons auteurs soutenaient qu’un ambassadeur n’échappait à la justice nationale que pour les actes du ressort de la politique,