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Leurs coutumes, leurs mœurs, leurs institutions sont en tout l’opposé des nôtres. Ils haïssent ce que nous aimons, ils méprisent ce que nous admirons; ils pratiquent comme vertus ou tolèrent comme nécessités ce que nous condamnons. Ils avilissent la femme ; pour eux le serment n’existe pas ; ils sont parjures, débauchés, sans honneur, sans religion et sans foi[1]. »

Si sévère que soit ce jugement dicté par la passion, on ne saurait le déclarer tout à fait faux. Il est certain que l’émigration chinoise se recrute surtout parmi les classes inférieures de la population, et que là, comme partout, le vice et l’ignorance dominent. La propagande religieuse, l’instruction, l’exemple, sont-ils impuissans? A cela les missionnaires consultés ne peuvent répondre que par l’aveu de leur insuccès et de l’impossibilité où ils sont de faire des prosélytes parmi les Chinois. Dans une conférence publique, le révérend J.-S. Kalloch s’exprime ainsi : « Je ne crois pas à la possibilité de convertir les Chinois à San-Francisco, mais j’y crois dans leur pays. Nous ne les amènerons pas au christianisme dans les conditions et le milieu où ils se trouvent ici, et j’estime qu’ils démoraliseront plus de chrétiens que nous ne ferons de recrues. Nous avons si peu de prise sur eux que, même en Chine, nous n’avons pu obtenir de nos prosélytes le sacrifice d’aucun de leurs usages extérieurs, la plus légère modification dans leurs coutumes ou leur manière de s’habiller. « 

Après les économistes et les moralistes, les hommes politiques viennent à leur tour déclarer que les Chinois, courbés depuis des siècles sous le joug d’un despotisme écrasant, sont incapables de devenir citoyens libres d’un pays libre. — Longtemps, disent-ils, on s’est bercé de l’idée que dans tout conflit de race la race supérieure devait fatalement absorber l’inférieure, lui imposer ses idées, ses coutumes et ses lois. L’histoire en offre en effet de nombreux exemples, mais autre chose est la théorie, autre chose les faits. Il y a des exceptions aux lois générales de l’humanité, et, si nous n’y mettons ordre, les Chinois nous le prouveront. Bien loin de se considérer comme inférieurs à nous, ils nous traitent de barbares et affichent un profond dédain pour notre civilisation. Leur insupportable orgueil prétend faire remonter la leur à une époque bien antérieure à la venue du Christ. Ils exaltent Confucius et convertissent ses maximes en lois. Cantonnés dans leurs préjugés, dédaigneux des idées nouvelles, ils forment une masse compacte, inaccessible à toute influence. En eux tout diffère de nous, la couleur, les traits, le costume, le langage, les mœurs, la religion. Deux races aussi distinctes, séparées par d’insurmontables barrières, peuvent-elles

  1. Report of the House Committee of Congress. February, 1878.