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vivre côte à côte sur le même sol et sous le même gouvernement Si l’union entre elles est impossible, l’une des deux dominera, l’autre pliera. Laquelle? Le nombre est la force, et la force fait le droit. Ils arrivent en flots pressés, poussés par un irrésistible courant, et à nos plaintes, à nos réclamations, on nous répond qu’ils ont pour eux le droit et les traités. — Là s’arrêtent les modérés, mais les masses, menacées dans leurs intérêts, dans leur existence, ont leur logique à elles, brutale et violente comme elles. En attendant de les voir à l’œuvre, examinons rapidement les mesures à l’aide desquelles on se propose de remédier au danger.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est leur caractère essentiellement empirique et révolutionnaire. Les modérés, comme les violens, professent sur cette question le plus parfait dédain de la légalité, des principes et des traités. L’urgence du péril aveugle les uns, l’ignorance entraine les autres. On s’estime en présence d’une race inférieure, et contre elle tout est permis. Chacun propose son remède; bon ou mauvais, il est admis et vient grossir la liste des mesures arbitraires que l’on somme le congrès de voter en bloc. Les uns, et ce sont les plus sages, demandent qu’un bill interdise à tout navire venant de Chine de recevoir à son bord plus de dix passagers chinois. Pourquoi dix? Il serait aussi simple et plus logique de leur dénier le droit d’entrée, et aussi celui d’acheter et de posséder des navires, ou de naviguer sous pavillon national ou étranger. Les autres insistent pour que tout émigré chinois soit tenu de payer une taxe de capitation calculée à un taux tel qu’il ne puisse l’acquitter. Mais les traités imposés à la Chine, dictés par les États-Unis eux-mêmes, s’opposent de la manière la plus formelle à ces deux mesures. Les articles 1 et 2 du traité de 1844, et l’article 4 du traité Burlingame, de 1868, garantissent aux Chinois le régime commun, et les États-Unis ne pourraient, sans se porter à eux-mêmes un coup mortel et sans s’exposer aux revendications de l’Europe, étendre à tous les émigrans des mesures aussi violentes.

On en comprend l’impossibilité et, pour tourner la difficulté, on exhume des archives nationales une décision légale en vertu de laquelle un traité conclu par le cabinet de Washington avec la tribu indienne des Cherokees a été mis de côté par l’autorité judiciaire et déclaré par elle nul et non avenu. Le procédé est simple et commode. Le pouvoir exécutif avait négocié et ratifié ce traité pour mettre fin à une guerre interminable. Plus tard, se sentant plus fort, il le fit casser par ses propres juges, reprenant ainsi sa liberté d’action. Quel recours avaient les Indiens? Aucun, et les armes achevèrent ce qu’une ruse diplomatique avait si bien commencé.

Mais, quel que soit le mépris que l’on professe pour les Chinois, ils n’en sont pas moins les maîtres d’un vaste empire avec lequel les