États-Unis font un commerce considérable. Il existe en Chine des résidens américains, des intérêts américains, établis non sans peine, créés non sans difficulté, et qui ne se laisseraient pas sacrifier. Il n’est pas vraisemblable que la Chine cherche à tirer vengeance d’une violation des traités en déclarant la guerre aux États-Unis. Ses jonques ne viendront certainement pas bombarder San-Francisco ; mais qui pourrait l’empêcher de répondre à des procédés iniques par un ordre d’expulsion des résidens américains et par un refus d’admettre les navires des États-Unis dans ses ports ? On n’a pas oublié les massacres de Tien-tsin. Le sang peut couler encore, et une populace soulevée peut envelopper dans une haine et une vengeance communes tous les résidens étrangers.
Des mesures fiscales seraient-elles plus efficaces, et peut-on frapper d’une taxe particulière les émigrans chinois seuls dans le seul état de la Californie ? Les principes posés par le nord lors de la guerre de sécession s’y opposent. On n’a pas oublié en effet que le sud s’était déclaré partisan de la souveraineté individuelle des états et qu’il prétendait que le lien fédéral constituait un pacte que chacun des états de l’Union était libre de dénoncer. Le nord a dépensé 14 milliards de francs et 300,000 hommes pour faire triompher la doctrine opposée. Peut-il la répudier aujourd’hui et admettre le vote de lois particulières et spéciales à un des états de l’Union ? Une fois entré dans cette voie d’exception, où s’arrêterait-on ?
Ainsi donc l’adoption de ces deux mesures constituerait une violation des traités qui pourrait être le point de départ d’une catastrophe sanglante, et une violation de principes qui aurait, dans un avenir prochain, les plus graves conséquences.
On propose une autre mesure, logique, celle-là, légale, mais qui n’a qu’un défaut, celui d’être impraticable d’une part, insuffisante de l’autre. Organiser une grève générale du capital contre la main-d’œuvre, s’entendre pour n’employer aucun Chinois, donner toujours, partout, à tout prix la préférence à l’ouvrier blanc sur l’ouvrier asiatique, et mettre ainsi ce dernier dans l’alternative de mourir de faim ou de quitter le pays. En théorie, soit, mais la pratique ? Que ferait-on aux récalcitrans ? et s’il y en a dix il y en aura mille. Voici un fermier, américain, allemand, irlandais, peu importe, qui emploie vingt Chinois. Il les congédie et les remplace par vingt Irlandais, qui lui coûtent mensuellement le triple. Vendra-t-il ses produits plus cher et dans la même proportion ? Et si à côté de lui son voisin, plus soucieux de ses intérêts propres que des intérêts généraux, persiste à employer la main-d’œuvre à prix réduit, que fera-t-il ? La concurrence devient impossible. L’un se ruine, l’autre s’enrichit. Emploiera-t-on la force pour assurer le succès de cette ligue nouvelle ? Mais la loi s’y oppose d’une part, et de l’autre on ne remonte