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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/614

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Sacramento, capitale de l’état, ordre fut donné à la milice de prendre les armes, le commandant des troupes fédérales les consigna dans leurs casernes et se prépara à marcher. Dans la soirée du 16, Kearney, Wollock et Knight furent arrêtés et emprisonnés.

Ces mesures habilement concertées et rapidement exécutées firent avorter l’émeute. Quelques Allemands essayèrent seuls de prendre l’offensive, mais ces groupes privés de leurs chefs furent dispersés. Il n’y avait rien à faire à San-Francisco, et le mot d’ordre fut donné de se réunir à Oakland, situé de l’autre côté de la baie. On estime à 10,000 le nombre de ceux qui s’y rendirent. Conformément aux traditions, on y vota une série de résolutions, puis on s’ajourna. Quelques jours après, Kearney était remis en liberté sous une caution de 55,000 francs; Knight, Wollock et les autres en fournirent chacun une de 25,000 francs.

Au fond, l’opinion publique sympathisait avec Kearney dans sa croisade contre les Chinois; mais elle s’arrêtait là, répugnant à l’emploi des moyens violens qu’il préconisait, alarmée par le déchaînement des passions populaires et des idées socialistes. Kearney ne réclamait pas seulement l’expulsion de la race asiatique ; il demandait une taxe sur le revenu, le mandat impératif pour les représentans, le taux de l’intérêt fixé à 7 pour 100 par an, des limites au droit de propriété, le droit au travail et la suppression de l’élection à deux degrés pour la présidence des États-Unis. Beaucoup n’entendaient pas le suivre aussi loin, et les intérêts effrayés lui reprochaient avec amertume de compromettre le crédit de l’état et le leur à l’étranger, d’ébranler la confiance, de paralyser les affaires et de nuire au succès de la cause même qu’il prétendait servir.

Ce que les chefs du parti socialiste ne pouvaient enlever par la force, ils se mirent en devoir de l’obtenir par les voies légales. Renonçant pour le moment à un conflit à main armée dont l’issue était douteuse, Kearney adopta comme mot d’ordre et fit adopter à ses partisans comme cri de ralliement la révision de la constitution de l’état. L’assemblée législative réunie à Sacramento l’avait votée en fixant les élections au 19 juin 1878. Soutenu et conseillé par quelques-uns des membres de l’assemblée ralliés à ses idées et avides de popularité, Kearney commença une campagne d’agitation pacifique. Dans tous les districts électoraux des comités se formèrent, on discuta les listes des candidats et les principaux orateurs du parti convoquèrent et haranguèrent de nombreux meetings. Ce qu’ils voulaient cette fois, c’était armer l’état de droits souverains pour résoudre la question chinoise. Ils prétendaient le délier des obligations internationales contractées par le gouvernement fédéral, lui donner le pouvoir de s’affranchir des prescriptions de la constitution de l’Union, et le droit de légiférer sans tenir aucun