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compte des limites imposées par le pacte fédéral. C’était soulever à nouveau la grande question des droits des états, tranchée par la guerre de sécession et la défaite du sud. Tous les partisans du sud applaudirent à cette tentative audacieuse, qui ne tendait à rien moins qu’à amener un conflit inévitable entre le gouvernement de Washington et un des états de l’Union. Il était évident que, si Kearney et son parti réussissaient à obtenir la majorité dans la convention et à modifier la constitution de l’état dans le sens de l’autonomie absolue, le pouvoir fédéral se trouvait dans l’impossibilité de faire respecter les lois et les traités et n’avait d’autre alternative que de contraindre par la force la Californie à rentrer dans l’Union, ou d’accepter le principe de sécession que le sud s’empresserait à son tour de proclamer.

Ces conséquences extrêmes ne pouvaient échapper aux deux grands partis politiques qui, en Californie comme dans tous les états de la confédération, se disputent le pouvoir. Les démocrates et les républicains, ces derniers surtout, voyaient avec effroi ce parti nouveau qui les confondait dans un mépris commun, repoussait toutes leurs avances, se recrutait parmi leurs adhérons et menaçait de s’élever un jour sur leurs débris. Dans une conférence tenue entre les principaux représentans des démocrates et des républicains, on s’arrêta à l’idée d’une fusion dans laquelle les deux partis devaient s’unir pour la commune défense des intérêts sociaux menacés. Le gouverneur de l’état accepta d’être le chef ostensible de cette union dont les candidats, répartis en nombre à peu près égal entre les deux camps, se présenteraient au suffrage populaire sous le nom de « candidats non partisans. »

Des deux côtés on se prépara à une lutte dont l’issue semblait peu douteuse. Kearney ne pourrait, disait-on, tenir tête à une semblable coalition; on le tenait pour battu, d’autant que la division se mettait dans son camp et que deux des principaux meneurs du workingmen’s party, Knight et Rooney, l’abandonnaient. Mais dans les rangs des fusionnistes l’accord était loin d’être complet. Les républicains et les démocrates s’épiaient d’un œil jaloux. Les premiers soupçonnaient leurs adversaires de ne répudier que du bout des lèvres les théories de Kearney, et d’avoir conservé pour les doctrines sécessionnistes une indulgence toute particulière. Pendant la guerre de 1865, les démocrates avaient secrètement sympathisé avec le sud. La défaite de leur candidat à la présidence et l’élection d’Abraham Lincoln avaient fait éclater le conflit. Depuis lors, constamment battus aux élections, ils étaient écartés du pouvoir ; en ce moment même ils affirmaient l’être injustement et maintenaient que le président ne siégeait à la Maison-Blanche qu’en vertu d’une