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fraude électorale gigantesque sur laquelle le congrès n’avait pas dit encore son dernier mot. Acclamée dans un mouvement d’enthousiasme, la fusion était chaque jour vivement attaquée par certains journaux républicains et démocrates qui se qualifiaient d’intransigeans et n’entendaient répudier aucune des idées qui faisaient, disaient-ils, la-force et à raison d’être de leurs partis politiques.

Au milieu de ces dissensions le workingmen’s party gagnait du terrain. Beaucoup s’y ralliaient sans pour cela accepter la direction absolue de Kearney. Ils voulaient l’expulsion des Chinois par des voies qu’ils estimaient légales et pacifiques. Le révérend D. Kalloch, prédicateur estimé, s’unit à eux et dans un discours où il prit pour texte ces paroles : « Ne voyez-vous pas les signes des temps? » il fit publiquement acte d’adhésion.

Les élections eurent lieu le 19 juin. San-Francisco donna une forte majorité à Kearney dont tous les candidats furent élus avec un chiffre moyen de 13,500 voix contre 8,000 données aux « non partisans. » En dehors de San-Francisco, treize autres comtés ont élu des workingmen. Le résultat officiel, proclamé le 12 juillet dernier, constate que les non-partisans ont obtenu 83 nominations, Kearney et les siens 51, les républicains 11, et les démocrates 7. La plupart des représentans non partisans se sont engagés d’avance à voter avec les workingmen sur la question chinoise et à réclamer avec eux une autonomie plus complète.

Le lendemain du vote, les journaux-socialistes annonçaient que Kearney se proposait, aussitôt que le résultat des élections serait officiellement proclamé, de se rendre à New-York, où, disaient-ils, 50,000 adhérens attendaient pour le saluer de leurs acclamations le chef du parti en Californie. De là, il irait à Chicago. On sait le rôle important que cette dernière ville a joué dans la grève des chemins de fer. M. Cucheval-Clarigny a raconté ici même, avec une rare impartialité, les sanglantes péripéties de ce drame, première explosion du socialisme révolutionnaire aux États-Unis. On connaît les causes et le but de cette grève, son point de départ, ses excès, sa répression. Nul doute que Chicago ne fasse à l’ancien charretier, promu homme politique, une ovation enthousiaste.

Mais Kearney, non plus que les promoteurs du mouvement socialiste à New-York et dans les autres grandes villes de l’Union, ne possède la notoriété et l’influence nécessaires pour rallier en un même faisceau ces forces éparses et destructives. Comme eux, il a pu réussir à entraîner la populace, conquérir une popularité bruyante et malsaine, mais ses allocutions violentes et passionnées ont alarmé les intérêts, effrayé les modérés.

Un chef manquait au parti. Il vient de surgir dans des rangs où l’on n’était guère en droit de l’attendre. C’est un homme dont la carrière