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On ne saurait incriminer le patriotisme de ceux qui conseillaient la prudence et qui, trop confians dans les promesses dont le comte de Goltz était si prodigue, croyaient « qu’il importait de procéder vis-à-vis de l’Allemagne avec beaucoup de ménagemens et qu’on obtiendrait d’elle plus par la douceur et l’habileté que par la violence et les menaces[1]. » Ils étaient certains que l’Italie ne fausserait pas compagnie à l’alliance prussienne, et la dépêche du général La Marmora à M. Nigra les autorisait à dire qu’au besoin elle se retournerait contre nous. Leurs appréhensions au sujet d’une entrée en scène de la Russie, qu’ils tenaient pour l’alliée secrète de la Prusse, étaient, par contre, nous venons de le constater, sans fondement ; mais n’était-il pas à craindre que l’Autriche, qui déjà avant Sadowa, disait-on, avait fait des ouvertures secrètes à la Prusse, ne se préoccupât avant tout de ses propres intérêts, et que pour sauver son existence elle n’acceptât une paix que, dans l’imminence du danger, M. de Bismarck rendrait facile ? Au surplus, qu’attendre des états du midi dont les contingens avaient montré si peu d’empressement à se mesurer avec les troupes prussiennes ? N’abandonneraient-ils pas la cause de la diète et de l’Autriche pour défendre contre nous, par un effort commun, la grande patrie allemande, surtout si M. de Bismarck devait proclamer la constitution de 1849 ? Mais ce qui impressionnait surtout et à juste titre ceux qui combattaient l’idée d’une intervention année et même d’une démonstration militaire, c’étaient les conceptions de l’état-major prussien, exécutées avec un bonheur foudroyant par une armée admirablement disciplinée, dont le patriotisme exaltait le courage. N’était-ce pas en effet une révélation aussi inattendue qu’inquiétante pour qui pensait au triste état de nos arsenaux et de nos effectifs, au relâchement de notre discipline, à l’ignorance où étaient nos généraux des conditions de la guerre moderne ?

C’était là le grand et sérieux argument des adversaires de la politique d’action, et qui, plus que les considérations italiennes dont ils exagéraient la gravité, peut servir de justification ou d’excuse au rôle déterminant qu’ils ont joué dans ce que j’appellerai le drame de Sadowa.

Le maréchal Randon, sous le coup d’une lourde responsabilité, a cru devoir consacrer dans ses Mémoires tout un chapitre à la défense de son administration. Il a essayé de démontrer, avec des chiffres à l’appui, que les défaillances de notre politique au mois de juillet 1866 ne lui sont point imputables. Il prétend qu’en un mois nous aurions pu réunir sous les drapeaux, par l’appel des réserves, 450,000 hommes, défalcation faite des armées d’Afrique,

  1. Note du prince Napoléon à l’empereur, 14 juillet. — Papiers des Tuileries.