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et enfin de voir si nous sommes bien dans la voie qu’ils ont indiquée, en conformité ou en opposition avec le modèle idéal qu’ils ont tracé.


I.

Sans nous astreindre à l’ordre des temps, commençons par Descartes, dont nous avons d’ailleurs moins longuement à parler que de Bacon ou de Leibniz. Peu de temps avant sa mort, lorsqu’il était en Suède, Descartes fut consulté par la reine Christine sur le dessein d’une assemblée de savans ou académie qu’elle voulait établir à Stockholm. « Elle regarda, dit Baillet, M. Descartes comme l’homme du meilleur conseil qu’on pût écouter sur cet établissement, et elle le choisit pour en dresser le plan et en faire les règlemens. Il lui porta le mémoire qu’il en avait fait le premier jour de février, qui fut le dernier qu’il eut l’honneur de voir la reine[1]. » Dix jours après, succombant à ce rude climat. Descartes mourait, le 11 février 1650.

Dans ce mémoire, dont Baillet nous donne l’analyse, Descartes s’est plutôt occupé du règlement intérieur des discussions de la future académie que de son organisation même, de la nature de ses travaux et de ses ressources. En ce qui regarde la constitution de la compagnie, il se borne à en exclure les étrangers, c’est-à-dire à s’exclure lui-même. Plus porté aux études et aux méditations solitaires qu’aux travaux en commun et aux discussions publiques, il voulait sans doute décliner à l’avance la présidence que la reine lui destinait. Il n’était pas non plus question des revenus de la nouvelle académie ni de l’étendue et de la nature de ses occupations. Descartes semble avoir été exclusivement préoccupé d’un système de conférence, suivant l’expression même de Baillet, d’où on pût tirer le plus de fruit. Le premier article suffit d’ailleurs à montrer l’objet restreint qu’il s’était proposé : « Chacun de ceux qui seront reçus dans cette assemblée aura son tour, tant pour proposer la question que pour l’expliquer. Et tous retiendront le même ordre entre eux afin d’éviter la confusion. » Il songe surtout à régler le mode et le ton de la discussion, les tours de parole, à conserver la bonne entente entre tous les membres au milieu des discussions; il prescrit à tous la civilité, il recommande de n’avoir en vue que la vérité et de ne point s’étudier à se contredire, ce qui en effet n’importe pas peu en tout temps et dans toute académie. « L’on s’écoutera parler les uns les autres avec douceur et respect, sans faire paraître de mépris pour ce qui sera dit dans l’académie. — L’on ne s’étudiera point à se contredire, mais seulement à rechercher la vérité. »

  1. Vie de Descartes, liv. VII, chap. XX.