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dans la bouche des magistrats de Ben-Salem des maximes que lui-même, pour son honneur, a trop mal pratiquées? Est-ce un retour sur lui-même? Est-ce comme pour se punir de l’avoir méconnue qu’il célèbre de la sorte la première et la plus vulgaire vertu d’un magistrat?

Nous ne nous arrêterons pas davantage à l’histoire et aux institutions de cette île fortunée, qui toutes témoignent de la plus haute civilisation, en même temps qu’elles sont la critique indirecte des mœurs et des lois des autres nations. Signalons seulement certaines pages curieuses, mêlées de quelques réminiscences platoniciennes, sur la chasteté et les mariages. De toutes ces institutions, nous n’avons à examiner ici que la plus grande, la plus belle de toutes, la Maison de Salomon ou le collège de l’œuvre des six jours. Le but de l’Institut de Salomon est « la découverte des causes et la connaissance de la nature intime des forces primordiales et des principes des choses pour étendre les limites de l’empire de l’homme sur la nature. » Les membres de cet Institut sont les égaux des premiers personnages de l’état. Ils paraissent en public revêtus d’un costume magnifique, ils marchent environnés d’un appareil sacerdotal, avec la mitre, la crosse, l’étole. Devant eux on porte une croix, comme devant un évêque. A leur entrée dans une ville, tous les magistrats, toutes les confréries, leur font un solennel cortège ; ils traversent les flots d’une foule empressée qui tombe à genoux sur leur passage et qu’ils bénissent avec la main nue et élevée. On voit que ces savans sont en même temps des sortes de pontifes qui ne sont pas sans quelque ressemblance avec le prêtre des saint-simoniens. C’est sans doute dans l’intérêt, comme pour la dignité de la science, que Bacon voulait environner ses plus hauts représentans d’un éclat qui devait rejaillir sur la science elle-même en frappant l’imagination de la multitude. Aujourd’hui les savans n’ont plus besoin de cet appareil extérieur pour avoir dans l’opinion publique la place d’honneur qui leur appartient; ils ont bien assez, à ce qu’il semble, des épées et des broderies vertes qu’ils ne portent guère.

Il importe davantage de considérer les ressources de l’Institut de Salomon pour arriver à cette grande fin de la connaissance des vertus secrètes de la nature. Son budget semble en quelque sorte sans limites; il n’est rien, dans la nature et dans l’art, que ses membres n’aient à leur disposition pour les investigations et les expériences les plus diverses, les plus difficiles, les plus vastes et les plus coûteuses. Pour eux ont été bâties des tours, des stations avec des observatoires, sur les plus hautes montagnes, comme il y en a sur le Puy-de-Dôme, seulement depuis quelques années, grâce au zèle de M. Alluard, et sur le Pic du Midi, grâce au dévoûment du