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réaliste ? Qu’on relise Thucydide et les chapitres de son immortelle histoire où il a retracé les troubles violens qui ensanglantèrent la malheureuse Corcyre dans la cinquième année de la guerre du Péloponèse. Ce fut une sorte de commune ; les réquisitions, les confiscations, les brigandages, les incendies, les massacres d’otages, rien n’y manqua, hormis le pétrole. Dans ces excès, on osa, dit l’historien, tout ce qu’osent des malheureux qu’on a longtemps gouvernés avec insolence et qui imitent les procédés de leurs maîtres, tout ce que peuvent se permettre des misérables qui veulent en finir avec leurs souffrances accoutumées en s’emparant du bien des autres, enfin tout ce que peuvent faire des hommes qui, « sans être conduits par la cupidité et n’attaquant leurs ennemis qu’au nom des principes, se livrent à leurs passions sauvages et se montrent justiciers atroces et inexorables. » Où les démocrates de Corcyre avaient-ils fait leur éducation ? Thucydide nous l’apprend ; ils s’étaient instruits à l’école de ces habiles politiques réalistes qui, dès le début de la guerre du Péloponèse, avaient gouverné les cités grecques sans jamais rien refusera leur ambition et à leurs rancunes. Il nous assure qu’en ce temps tous les mots avaient perdu leur sens, que l’audace sans scrupule était traitée de zèle courageux pour le bien de l’état, que l’homme violent était un homme sûr, celui qui le contrariait un suspect, qu’être le premier à faire du mal à ses ennemis, c’était passer pour un homme d’esprit et mériter les éloges, qu’on en méritait aussi quand on savait exciter à nuire celui qui n’y songeait pas, et lorsqu’on formait des alliances, ce n’était pas sur la foi des sermens que les alliés fondaient leur confiance réciproque, mais sur les injustices qu’ils avaient pratiquées en commun. « C’est ainsi, nous dit Thucydide, que la naïveté devint un objet de risée, et pourtant, ajoute-t-il, il y a un peu de naïveté dans toutes les grandes âmes. » Nous ne savons ce qu’il en faut croire, mais nous doutons que le chancelier de l’empire germanique ait été surpris une seule fois en flagrant délit de naïveté, sauf peut-être le jour où il a raconté au correspondant du Times certaines choses qui ne devaient pas être redites. Peut-être aussi, en d’autres occasions, a-t-il parlé trop haut ; l’écho a répondu. — « Les grandes questions, s’écriait-il en 1863, ne se résolvent pas par des discours et des délibérations parlementaires, mais par le fer et le sang. » M. Marx a dit à son tour au congrès de la Haye : « C’est à la force qu’il faut en appeler pour établir la domination des travailleurs. » Il avait écrit auparavant dans son livre sur le Capital, qu’on a surnommé la bible du communisme : « La violence est une puissance économique ; la violence est la sage-femme des vieilles sociétés qui sont grosses d’une société nouvelle. »

Il est étrange que M. de Bismarck ait choisi le moment où il se disposait à faire voter par le Reichstag une loi destinée à restaurer en