Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Allemagne le respect du droit et de la justice pour appeler de nouveau l’attention de l’Europe sur un des actes les plus équivoques de la politique réaliste. A la vérité on ne sait plus que penser des confidences qu’il a pu faire au correspondant du Times, qui s’est empressé de les répéter urbi et orbi. Un journal officieux de Berlin a insinué qu’en cette occurrence M. de Blowitz avait été mal servi par sa mémoire, qu’il avait mêlé le faux au vrai, et avancé des choses neuves qui n’étaient pas exactes, en y joignant des choses exactes qui n’étaient pas neuves. Ce qui n’est pas neuf, ce que tout le monde savait, c’est qu’au printemps de 1875 le parti militaire prussien ou du moins quelques hommes marquans de ce parti nourrissaient de noirs projets contre la France. — Nous avons battu les Français, disaient-ils, nous leur avons pris deux provinces et cinq milliards, nous avons signé avec eux un traité dont ils ont exécuté toutes les clauses avec une irréprochable loyauté; mais ils ont à notre égard un tort impardonnable. Nous nous flattions de les avoir ruinés à jamais et que dorénavant ils n’auraient plus d’armée. Nous nous étions trompés ; nous allons nous jeter sur eux avant qu’ils soient devenus plus forts, et cette fois nous les mettrons hors d’état de jamais nous inquiéter. — Comment faut-il qualifier ce langage et ce procédé? Ce n’est plus de la politique, c’est autre chose, et nous serions curieux de savoir ce qu’en a pensé M. Marx.

Ce qui est tout à fait neuf dans les révélations du Times, ce que personne ne s’était avisé de soupçonner, c’est que M. de Bismarck, réprouvant les projets un peu sauvages du parti militaire et n’osant les combattre ouvertement, s’était résolu à les faire avorter par des indiscrétions calculées. Voilà qui est fort invraisemblable, et la Gazette de l’Allemagne du nord a eu raison de dire que le chancelier responsable de l’empire n’a pas besoin de recourir à des moyens détournés pour faire prévaloir son veto. Sans doute on croyait savoir, pour l’avoir entendu dire, que dans un bal de la cour M. de Radowitz avait déclaré brusquement à M. de Gontaut-Biron « que la France se relevait trop vite et que cela devenait intolérable. » On croyait savoir aussi que, le 5 mai, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, avant de partir pour Berlin, s’était présenté auprès du duc Decazes et l’avait rendu attentif aux conséquences fâcheuses que pourrait avoir pour les relations des deux pays les armemens que faisait la France, sous prétexte, disait-il, d’exécuter la nouvelle loi des cadres. Mais personne n’avait pensé à voir dans ces redoutables avertissemens une habile manœuvre de M. de Bismarck pour mettre la France sur ses gardes et pour faire manquer un mauvais coup. Quant au gouvernement français, il se rappela fort à propos ce qui s’était passé quelques années auparavant. En 1866, certains propos menaçans tenus par M. de Bismarck avaient porté le trouble à Dresde et à Vienne, et le gouvernement autrichien avait pris