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des sacrifices, sans parler des difiicultés nouvelles qui peuvent surgir à l’improviste, et la Hongrie commence à murmurer ; elle ne voit pas sans amertume le développement d’une politique qui, dans tous les cas, peut avoir pour conséquence de transformer les conditions de l’empire austro-hongrois par un changement dans l’équilibre des races. Le comte Andrassy se flatte, dit-on, de trouver au bout de tout la justification de la politique qu’il a suivie et qu’on lui reproche. C’est possible ; jusqu’ici on est en pleine bourrasque, en pleine crise. D’un autre côté, la situation créée par le traité de Berlin dans le reste de l’Orient n’est certes rien moins que flatteuse. Tout est en suspens au milieu d’un mécontentement à peu près universel. La Serbie en est pour ses déceptions. Elle a conquis une indépendance dont elle jouissait par le fait, et avec cela quelques petits territoires ; en revanche, depuis l’entrée de l’Autriche en Bosnie, elle se voit cernée de toutes parts, elle doit renoncer à tout rêve d’ambition. Quant aux réformes qui doivent être opérées dans les autres provinces laissées à la Porte, soit en Europe, soit dans l’Asie-Mineure, elles s’exécuteront peut-être, il faut le croire ; M. Layard s’en occupe à Constantinople, de même que les puissances paraissent s’occuper des différends de la Porte avec la Grèce au sujet de la nouvelle frontière.

On n’en a donc pas fini avec les incertitudes, les malaises et les difficultés ; mais de tous ces incidens qui se succèdent ou se pressent dans ces régions de l’Orient, le plus curieux et peut-être aussi le plus redoutable par les conséquences qu’il peut avoir, c’est cette menace de complication qui vient de s’élever en pleine Asie, sur les frontières de l’Afghanistan. Au premier abord, ce n’est pas sans doute une bien importante querelle. L’Angleterre, maîtresse du Pendjab, a voulu envoyer une mission à l’émir de Caboul, dont les menées lui ont paru suspectes depuis quelque temps ; elle a prévenu l’émir de l’envoi de sa mission, elle n’a reçu aucune réponse. Un officier parlementaire anglais s’est présenté à la frontière à un chef afghan, et a été renvoyé assez lestement. S’il n’y avait qu’un émir à mettre à la raison, ce ne serait rien ; mais l’Afghanistan est justement le théâtre asiatique où l’influence russe et l’influence anglaise se rencontrent. La Russie, menacée il y a quelques mois d’une guerre avec les Anglais, a envoyé de son côté une mission à Caboul, et c’est peut-être en se sentant ou en se croyant appuyé par cette mission russe que l’émir a pris une attitude d’hostilité vis-à-vis de l’Angleterre. Là est la gravité de cette question, qui semble commencer. Qu’en sera-t-il ? Il serait au moins étrange que la guerre qu’on a voulu éviter au sujet de l’empire ottoman allât éclater en Asie au sujet de l’émir afghan, mettant aux prises les deux puissances que M. de Bismarck a appelées l’éléphant et la baleine. Ce serait une étrange suite de ce traité de Berlin fait pour rendre la paix au monde.

ch. de mazade.
Le directeur-gérant, C. Buloz.