Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/735

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouva toujours des hommes politiques pour la raviver au moment du péril ; parmi ces hommes, il faut surtout noter un grand dignitaire de l’église, François de Noailles, évêque d’Acqs, ambassadeur de France à Venise et plus tard à Constantinople, un des fins diplomates de l’époque. Chose curieuse, la considération qui contribua peut-être le plus à maintenir le gouvernement si mal équilibré des derniers Valois dans le système oriental de François Ier fut l’idée exagérée qu’on avait alors des richesses du sultan, des trésors immenses accumulés dans le sérail et dont on ne désespérait pas de recueillir quelques bribes sous forme de subsides ou de prêts. L’emprunt turc a joué son rôle au XVIe comme au XIXe siècle, seulement dans un sens tout à fait opposé. Henri II, François II et Charles IX ne cessaient de fatiguer la Sublime-Porte d’insinuations et de propositions financières. Les Turcs surent toujours éluder ces demandes importunes: pressés trop vivement, ils mettaient en avant le Coran, ce livre des livres qui leur a servi à tant de fins et de finesses. C’est ainsi que l’évêque d’Acqs écrivait le 22 mars 1573 au roi Charles IX : « Je différerai de demander par emprunt les trois millions d’or ; non que je craigne la honte de rougir, mais pour autant que je me tiens pour assuré que votre majesté en sera refusée comme elle fut en divers temps. Les Turcs ont pour péché irrémissible contre leur loi et religion de prêter argent aux chrétiens ; et crois qu’il n’y eut oncques prince entre tous les Ottomans qui plus exactement veuille observer son Alcoran pour ce regard que celui-ci (Sélim II)[1]… » Sauf toutefois ce délicat article d’argent, sa majesté très chrétienne n’avait pas certes à se plaindre du divan. La France jouit au XVIe siècle des privilèges les plus étendus dans le Levant : son nom et son pavillon y couvraient toutes les nations chrétiennes désignées sous l’appellation commune de franques ; et, à l’exception de Venise, les autres états, pour faire le commerce dans les eaux turques, étaient forcés d’arborer les couleurs françaises. Ce fut le cas du Portugal, de la Catalogne, de la Sicile, de Gênes, Lucques, Ancône et Raguse ; ce fut aussi, — on a quelque peine à le concevoir aujourd’hui, — le cas de l’Angleterre.

Jusqu’en 1583 en effet, tout marchand anglais en Orient devait être « garni d’attestatoires et passeports » de l’ambassadeur de

  1. Négociations dans le Levant, III, p. 372. —Henri IV, trop fin pour demander un emprunt au sultan, essaya de lui soutirer quelque argent en lui proposant l’achat d’un grand et beau diamant dont il envoya le fac-similé en cristal. « En vérité (écrit le pauvre roi à son ambassadeur M. de Brèves, le 9 mars 1596), c’est une pièce rare et digne de luy, laquelle j’expose en vente pour employer les deniers qui en procéderont à faire la guerre au roy d’Espagne. Partant je vous prie que ce seigneur l’achepte, et vous me ferés service agréable, car c’est chose que j’ai aussy très à cœur. » Lettres missives de Henri IV (Collection des documens inédits, etc.), IV, p, 523.